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Bibliothérapie

Les mots pour panser les maux

Par Cécile Coumau

Inciter des jeunes en surpoids à lire, proposer à des enfants atteints de maladies graves d'écrire leur journal intime, la bibliothérapie donne des résultats médicalement quantifiables. 

« Lisez, vous perdrez du poids ! » Cette injonction ne vient pas d'un « téléphobe » mais d'une très sérieuse équipe de recherche américaine du Dukes children hospital. Elle vient de démontrer que la lecture pouvait avoir des vertus thérapeutiques. Les chercheurs avaient demandé à un groupe de 31 jeunes filles âgées de 9 à 13 ans, toutes en surpoids ou obèses et suivant un régime, de lire un roman.
Ce récit d'aventure ressemblait à n'importe quel autre livre, si ce n'est que les pédiatres y avaient mis leur grain de sel. On pouvait lire entre les lignes des conseils d'hygiène de vie. Six mois plus tard, les jeunes lectrices avaient fait baisser leur indice de masse de corporelle de 71 % alors que l'IMC de 14 autres patientes privées de lecture n'avait pas bougé ou presque (+ 0,5 %).

La littérature serait-elle le coupe-faim miracle dont tout le monde rêve ? Non, bien évidemment mais ces résultats méritent réflexion. D'autant que la lecture n'est pas utile que dans le traitement des troubles du comportement alimentaire. « Soutenir des patients grâce à la lecture n'est pas une idée saugrenue. Elle trotte dans la tête de beaucoup de médecins », témoigne le Dr Philippe Cornet, médecin généraliste à Paris, enseignant et écrivain. Et certains, comme lui, n'hésitent à compléter la prescription par un conseil de lecture.


Une librairie curative
Dans les pays anglo-saxons, cette pratique porte un nom savant : la bibliothérapie. Autrement dit, l'art de soigner grâce aux livres. En Grande-Bretagne, la bibliothérapie a déjà son QG. Dans le quartier littéraire de Londres, une librairie pas comme les autres a ouvert ses portes en septembre. Sur les étagères, des classiques, des ouvrages philosophiques, des romans modernes et des guides pratiques. Mais, l'originalité, c'est que les clients viennent chercher des solutions à leurs maux du quotidien.

Pour choisir le bon livre, les animateurs de cette drôle de librairie organisent très régulièrement des débats mais ils ont aussi créé des « coffrets cadeaux intellectuels », qui contiennent six livres regroupés en fonction du symptôme dont souffre le client. De célèbres auteurs comme Alain de Botton, qui a notamment écrit « Comment Proust peut changer votre vie », sont à l'origine de cette librairie thérapeutique.


En France, cette tendance est plus confidentielle. Même si l'engouement des médecins pour le livre de Jean-Louis Fournier, « Où on va, papa ? » (éditions Stock) semble démontrer que le monde médical ne rejette pas totalement l'idée selon laquelle la littérature aurait des vertus curatives. Le prix Fémina 2008 reçoit, en effet, de nombreuses lettres de professionnels de santé lui confiant qu'ils recommandent ce livre à leurs patients ayant des enfants handicapés.

Les associations de patients adhèrent aussi à la bibliothérapie. L'Association française de diabétiques recommande, par exemple, la lecture de « Chair tombale », le roman du Dr Philippe Cornet, dont le héros est un obèse « incarcéré dans son propre corps ».


Les éditeurs ne comptent évidemment pas que sur la littérature pour soigner les maux par les mots. La mode des guides pratiques sur la santé a déjà traversé l'Atlantique. « La méthode simple pour en finir avec la cigarette » d'Allen Carr s'est vendue à 7 millions d'exemplaires dans le monde et à été traduite en 25 langues. Si les médecins se méfient des méthodes miracles, certains se sont quand même penchés sur les effets possibles de ces « self help books ».

Une équipe de psychiatrie du St Mary's hospital de Londres a étudié l'impact de la lecture d'un guide pratique sur 81 patientes atteintes de boulimie. Les résultats, parus dans le BMJ, prouvent l'intérêt d'utiliser ce genre de manuel. En effet, 22 % des patientes avaient cessé le « binge eating » (se nourrir de manière compulsive) ainsi que toute méthode de contrôle de leur poids comme se faire vomir. Le réseau santé sud des Yvelines (Ressy), un réseau spécialisé dans l'accompagnement des malades chroniques, propose quant à lui, sur son site, une liste de livres qui « peuvent faire du bien », et il met ses ouvrages à disposition de ses adhérents.


Une étude randomisée sur les vertus de l'écriture

Certains médecins, convaincus que les mots peuvent panser des plaies, expérimentent les vertus de l'écriture. Plusieurs ateliers d'écriture ont fleuri dans les hôpitaux. Mais, aucune étude randomisée n'a jamais mesuré l'impact de la production littéraire sur des symptômes. C'est pourquoi Michèle Salesse, enseignante en littérature à l'université de Montréal et psychologue, a lancé un protocole de recherche au CHU Sainte Justine avec le psychiatre Jean-François Saucier. « Beaucoup d'écrivains disent qu'écrire leur a fait du bien. J'ai donc voulu sortir l'écriture de l'université pour la faire entrer à l'hôpital. D'autant que souvent les patients atteints de pathologies lourdes ont des dossiers énormes qui parlent de leur histoire mais, eux-mêmes n'ont aucun espace d'expression. »

Michèle Salesse a donc décidé de leur donner la possibilité d'exprimer leurs émotions. Une centaine d'adolescents, atteints de pathologies chroniques telles que le diabète, la maladie de Crohn, l'anorexie-boulimie et le cancer, vont être progressivement inclus dans l'étude. La moitié est invitée à faire de l'écriture expressive, type journal intime, et l'autre moitié à rédiger des textes littéraires. Et ce, une fois par semaine pendant huit semaines. « Nous allons ainsi comparer les effets de ces deux formes d'écriture et mesurer les effets sur les symptômes physiques et psychiques, explique la responsable de l'étude. Ceux qui sont déjà rentrés dans l'étude depuis le moins d'août écrivent avec vigueur et enthousiasme. Et ils disent éprouver une forme soulagement. » Les résultats de cette étude ne seront connus qu'à la fin de l'année 2009.


Pour accompagner ce mouvement, nombre de médecins plaident pour ouvrir davantage la médecine aux sciences humaines et sociales. C'est le cas du Dr Luc Périno, médecin généraliste enseignant et écrivain. « Il y a du progrès puisqu'en première année, ils ont un enseignement en sciences sociales, qui comprend des conseils de lecture. Ils sont très enthousiastes et emballés par cette médecine globale. Mais, en 5e année, il faudrait une piqûre de rappel car ils ont été rattrapés par la médecine technicienne ». Peut-être faut-il s'inspirer des Etats-Unis. Les étudiants de médecine de Kansas City reçoivent comme cadeau de bienvenue une anthologie de textes littéraires traitant de la maladie, des soins, de la vie et de la mort. Parmi ces textes, se cache un extrait de « Carnets de santé » du Dr Luc Périno.