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Prix scientifiques

Covid et engelures : "Ces patients détectent mieux le virus et le bloquent très tôt"

Par Thierry Borsa

Quel lien entre les cas d'engelures constatés lors de l'apparition de l'épidémie en Europe et la Covid-19 ? C'est ce qu'a cherché à établir un jeune chercheur dont les travaux viennent d'être récompensés par la fondation Bettencourt-Schueller. Ils avancent l'hypothèse d'une meilleure réponse immunitaire liée à des variations génétiques.

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Améliorer les connaissances scientifiques sur la Covid-19 et rechercher de nouvelles voies thérapeutiques contre cette maladie : tel est l’objet des travaux de recherche que viennent de récompenser les prix scientifiques 2021 de la Fondation Bettencourt-Schueller. Parmi les lauréats, Ahmad Yatim, 36 ans, a travaillé sur un thème inspiré par le constat d’une multiplication des cas d’engelures en lien avec la pandémie de Covid-19 : « Résistance au SARS-CoV-2, la réponse pourrait-elle se trouver dans nos gènes ? »

- Pourquoi Docteur : Qu’est-ce qui vous a amené à choisir ce thème de recherche ?

Ahmad Yatim : J’étais en formation en médecine et recherche à Lausanne au moment où l’épidémie est arrivée en Europe. Lorsque l’on a vu des premiers cas d’engelures en mars 2020, c’était très intriguant et cela m’a rendu curieux. Il y avait là quelque chose que l’on ne comprenait pas et qui méritait d’être approfondi !

- Comment se sont déroulés vos travaux et à quelles réponses ont-il permis d’aboutir ?

Les services de dermatologie accueillaient de nombreux patients qui présentaient des engelures. Celles-ci pouvaient être un des symptômes de la Covid mais on a observé très vite que ces patients n’avaient aucun signe d’infection, les tests et les sérologies étaient négatifs.

Par contre ils avaient tous été en contact rapproché avec des personnes infectées. Cela a poussé des équipes à considérer qu’il n’y avait pas de lien avec le virus mais que c’était associé aux modifications de style de vie durant le confinement. Le problème, c’est qu’en Suisse, il n’y a pas eu de confinement !

On a donc émis l’hypothèse que ces patients étaient résistants à l’infection et que ces engelures seraient plutôt une manifestation d’une immunité innée. Les premiers travaux ont donc consisté à valider le fait que ces patients avaient une forte réponse immunitaire.

- Comment expliquer le lien entre ces engelures et la réponse immunitaire à une infection ?

Rappelons d’abord qu’il y a deux sortes d’immunité : l’immunité innée que tout le monde a sans avoir besoin d’avoir déjà rencontré l’agent pathogène et la réponse adaptative qui se manifeste par les anticorps produits en réponse à une infection.

Notre hypothèse est que ces patients avaient une immunité innée qui était très forte. Ce que l’on a constaté c’est qu’ils avaient une production élevée d’interférons et les personnes qui ont cette voie très active ne pouvaient pas être infectés par le virus.

Au moment des engelures ils avaient de fortes réponses d’interférons. Leurs cellules avaient donc des capacités supérieures à la moyenne pour détecter le virus et produire cet interféron.

- Quelle explication donner à cette particularité ?

C’est la troisième étape : quand on sait que des personnes ont de fortes réponses d’interférons, une grande résistance à l’infection et que leurs cellules sont capables de détecter le virus mieux que les autres, le sujet est de comprendre à partir de quel mécanisme. Et notre hypothèse, c’est qu’ils ont des variations dans leurs gènes impliqués dans cette réponse qui font qu’ils détectent mieux le virus et le bloquent très tôt.

- Ces patients auraient donc une meilleure protection naturelle. Au point de pouvoir se dispenser d’un vaccin ?

On a eu avec l’arrivée des vaccins beaucoup de patients qui nous ont contacté en disant : est-ce nécessaire de se faire vacciner puisque vous avez constaté chez nous une forte résistance. La réponse est oui, cela ne remplace pas un vaccin. Je rappelle qu’il y a deux immunités, l’innée et l’adaptative. Le vaccin stimule l’immunité adaptative.

Mais ce que l’on veut comprendre c’est comment l’immunité innée est capable d’elle-même de se débarrasser du virus. Mais cela ne remplacera jamais les vaccins parce que l’immunité adaptative a une mémoire alors que l’immunité innée n’a pas de mémoire et le vaccin permet de renforcer cette mémoire en offrant de fait une protection de manière préventive.  

- Ces travaux peuvent-ils conduire à de nouvelles stratégies anti-virales ?

Pour le moment on n’a pas d’antiviraux qui bloquent directement le virus. L’idée c’est de développer une stratégie complémentaire à la fois aux vaccins et aux antiviraux . Cet outil supplémentaire permettrait de stimuler la réponse innée pour qu’elle se débarrasse du virus comme elle le fait chez certains patients comme ceux qui ont des engelures. Cela peut être utile pour traiter des patients qui développent des formes graves en boostant leur réponse innée pour qu’elle les aide à se défendre face au virus

- Comment développer cette immunité innée ?

Déjà savoir pourquoi elle est efficace chez ces patients là une fois que l’on sait quels gènes interviennent dans cette réponse innée. On pourrait alors imaginer stimuler l’action de ces gènes par aider les cellules à se débarrasser elles même du virus.