- Amputée de quatre membres, une jeune Française a dû partir aux Etats-Unis pour pouvoir bénéficier d'une greffe des avant-bras et des mains
- Son avocate a obtenu en première instance que l'Assurance maladie prenne des soins à sa charge
- L'affaire doit être prochainement jugée en appel
La CPAM de Paris devra-t-elle prendre en charge le coût d'une greffe des avant bras et des mains réalisée aux Etats-Unis pour une jeune Française ? L'affaire est en appel mais un premier jugement rendu sur le fond le 12 juillet 2021 a déjà annulé le refus de prise en charge qui avait été notifié à cette patiente, ce qui pourrait contraindre l'Assurance Maladie à régler les 765 000 dollars (environ 670 000 euros) réclamés à la jeune femme par un hôpital de Philadelphie pour cette intervention réalisée en 2017.
Le dossier est complexe. Il repose sur un article du code de la Sécurité sociale (l'article R.332-2-3ème alinéa) qui stipule que l'Assurance Maladie peut, à titre exceptionnel, rembourser des soins dispensés en dehors des pays de l'Union Européenne "lorsque l'assuré peut établir qu'il ne pouvait recevoir sur le territoire français les soins appropriés à son état".
Tout commence en 2007. Laura Nataf, une jeune Française alors âgée de 19 ans, est victime d'un choc sceptique alors qu'elle effectue un stage de formation professionnelle en Espagne. Rapatriée en urgence en France, la jeune femme est placée durant trois semaine en coma artificiel avant de devoir être amputée des avant bras et des jambes. Le choc septique provoquer en effet une baisse importante de la pression artérielle qui empêche la bonne irrigation sanguine de l'organisme et si l'infection n'est pas maîtrisée rapidement, elle peut dégénérer en gangrène, ce qui conduit à l'amputation.
Radiée de la liste des demandeurs de greffe
"Lorsque ma cliente s'est réveillée, elle ne sentait plus ses membres... Les médecins lui ont simplement dit 'on vous a sauvé la vie' avant qu'elle réalise qu'elle avait perdu ses avant-bras et ses jambes", raconte son avocate, Me Valérie Sellam-Benisty. Une vie qui bascule. Mais la jeune femme ne se résigne pas à, comme elle le dit elle-même, "ne jamais pouvoir prendre un enfant dans les bras". Dés 2012, déterminée à tout faire pour "reprendre une vie normale", elle demande à être inscrite sur la liste nationale d'attente de greffe pour des avant-bras et des mains, demande qui aboutit en 2013.
L'attente qui va durer trois ans sera vaine. En 2016, les espoirs de Laura Nataf s'effondrent : elle apprend qu'elle est radiée de cette liste. Sans que la moindre explication lui soit donnée sur la justification de cette décision. La jeune femme qui est suivie par le Pr Laurent Lantiéri, chirurgien plasticien qui a réalisé en 2010 le première greffe de visage en France, est alors mise en relation avec un des homologues américains du chirurgien français, le Pr Scott Levin. Un projet de greffe des avant-bras et des mains est monté par ce dernier et un donneur est identifié aux Etats-Unis. En août 2016, la greffe est réalisée à l'hôpital de Philadelphie au cours d'une intervention qui dure près de 18 heures.
Une facture de 900 000 dollars
"Lorsque ma cliente est partie aux Etats-Unis pour bénéficier de cette greffe, elle a demandé à la CPAM si elle pouvait être prise en charge. Le 10 février 2016, l'Assurance Maladie lui a répondu par une simple lettre et sans la moindre mention d'éventuelles voies de recours que sa demande avait été rejetée suite à un avis défavorable du Médecin Conseil National", explique l'avocate. "Le seul motif autorisant le refus de prise en charge par l'Assurance Maladie aurait été que cette intervention puisse être réalisée en France. Or si ce type de greffe a pu avoir lieu il y a quelques années aux Hospices civils de Lyon, c'était dans le cadre d'un programme de recherche pour lequel les subventions pont été supprimées en 2014 !", s'indigne Me Sellam Benisty.
Si cette affaire est aujourd'hui devant les tribunaux, c'est qu'en effet Laura Nataf a dû se lancer dans une nouvelle bataille. Quelques mois après son retour en France, elle a reçu de l'hôpital de Philadelphie la facture de la greffe dont elle a bénéficié aux Etats-Unis, et la note est particulièrement élevée : 900 000 dollars ! "Les médecins américains avaient dit à ma cliente que les frais seraient avancés puisqu'il s'agissait d'une intervention source pour eux de notoriété", raconte Me Sellam Benisty. Des "promesses" qui ont fait place à une très formelle demande de règlement du coût de l'intervention ! A la suite de quoi l'avocate a saisi le pôle social du tribunal de Paris pour demander le remboursement par l'Assurance Maladie de cette somme en argumentant sur le "vide administratif" qui a, selon elle, abouti au refus initial de prise en charge de sa cliente. C'est sur cette demande que ce tribunal s'est prononcé le 12 juillet dernier en annulant le refus de prise en charge notifié à Laura Nataf, décision dont la CPAM de Paris a fait appel.
Un appel sur lequel la justice devrait se prononcer d'ici le printemps 2022. Un nouveau délai face auquel Valérie Sellam-Benisty ne désarme pas : "Il faudrait qu'aujourd'hui tous les patients qui, comme Laura Nataf, ont été victimes de refus de prise en charge trouvent le courage de saisir une administration comme la CPAM quand elle leur refuse le droit à une vie sociale".