Plus de 1150 morts et 5000 infarctus sur un an. Ce sont les estimations alarmantes auxquelles sont arrivés cinq cardiologues parisiens qui ont tenté d’évaluer l’impact du livre du Pr Philippe Even, « La vérité sur le cholestérol », sorti en février dernier. Dans son ouvrage, le très médiatique pneumologue attaquait les médicaments anti-cholestérol prescrits en prévention d’événements cardiovasculaires, et déclarait que les statines ne servent à rien.
Ces cinq spécialistes ont donc voulu connaître l’impact de ces propos sur leurs patients suivis en cardiologie à l’hôpital européen Georges Pompidou (HEGP), à l’hôpital Necker à Paris et dans un cabinet libéral. Au cours de leurs consultations, quelques semaines après la polémique, ils ont questionné 37 malades traités en prévention primaire par statines, et 105 patients en prévention secondaire, c’est-à-dire après avoir eu un problème cardiaque, pour l’essentiel un infarctus. Résultats : 24 % des personnes en prévention primaire ont indiqué avoir l’intention d’arrêter leur traitement, et 8 % en prévention secondaire.
Ecoutez le Dr Etienne Puymirat, principal auteur de l’étude : « 23 % des patients en ont parlé spontanément en consultation. Il semble que les patients des catégories socioprofessionnelles les plus élevées étaient les plus à risque. »
Tirer la sonnette d'alarme
A partir des questionnaires de ces 142 patients traités par statines, les chercheurs ont ensuite extrapolé ces résultats à la population française globale. Ils ont ainsi pu calculer le nombre attendu d’événements cardiovasculaires en se servant des données d’une grande analyse publiée dans le British Medical Journal (BMJ) en 2009 compilant les résultats de plusieurs études sur les effets des traitements du cholestérol. Par ailleurs, pour définir leur modélisation du risque de l’arrêt du traitement sur les Français, cette équipe de cardiologues a également utilisé les résultats d’une étude épidémiologique menée par l’Assurance Maladie.
Ecoutez le Pr Nicolas Danchin, cardiologue à l’HEGP : « C’est de la modélisation, avec bien sûr des limites méthodologiques. Mais à travers cette étude, on a voulu tirer la sonnette d’alarme. Si les patients arrêtent leur traitement, il peut y voir des conséquences. »
D’après les auteurs de cette étude publiée dans les Archives of Cardiovascular Diseases, l’estimation de 1159 décès et de 4992 infarctus serait même plutôt une sous-estimation, étant donné que les participants ayant déclaré leur intention d’arrêter leur statine ne l’ont pas tous réellement fait. Pour le principal intéressé, le Pr Philippe Even, cette étude ne prouve rien. Le pneumologue campe sur ses positions quant à l’intérêt des médicaments contre le cholestérol.
Ecoutez le Pr Philippe Even, pneumologue : « Pour moi, ça change pas un iota ma position. C’est facile de dire qu’un monsieur est mort parce qu’il a arrêté un traitement, il aurait fallu prouver avant que le traitement est efficace. »
Du côté des autorités, on souligne également quelques faiblesses dans la méthodologie de cette étude. Mais la Haute Autorité de Santé (HAS) rappelle qu’au moment de la sortie du livre du Pr Even, les experts craignaient son impact direct sur l’observance des patients à leurs traitements. Le Pr Jean-Luc Harrousseau, président de la HAS, répond d’ailleurs à Philippe Even quant à l’efficacité des statines. Selon lui, cette classe thérapeutique a déjà prouvé son efficacité dans plusieurs études, notamment dans celle menée en 2010 par la HAS conjointement avec l’Assurance maladie sur l’intérêt médico-économique des statines.
Ecoutez le Pr Jean-Luc Harrousseau, président de la Haute Autorité de Santé : « En 2010, la HAS a montré que l'utilisation des statines diminuait la mortalité toutes causes confondues et la fréquence des accidents cardiovasculaires, et à ce moment-là, nous avions redonné les indications de l'utilisation des statines. Elles sont notamment indiscutables après un 1er accident cardiovaculaire. »
Pour finir, la HAS rappelle aux patients désireux de s’informer sur les statines, ou sur tout autre traitement, que la base de données publique sur les médicaments vient d’être ouverte. Le site www.medicaments.gouv.fr permet désormais d’accéder librement et gratuitement à toutes les informations disponibles sur les médicaments délivrés en France.