- Un décret publié au J.O. reconnaît officiellement le cancer de la prostate comme maladie professionnelle liée à l'exposition au chlordécone.
- Classé comme cancérogène probable par l'OMS dès 1979, ce pesticide a continué à être utilisé dans les Antilles françaises pour lutter contre le charançon.
- Depuis, de nombreuses études ont renseigné ses effets sur le développement psychomoteur des nourrissons, son impact sur la fertilité féminine et masculine, et son lien avec divers cancers hormono-dépendants.
La décision était très attendue en Guadeloupe et en Martinique, où la mobilisation contre le chlordécone ne faiblit pas. Mercredi 22 décembre, un décret publié au Journal officiel reconnaît enfin les cancers de la prostates liés à l’exposition au chlordécone comme maladie professionnelle.
Pesticide classé comme cancérogène probable dès 1979 par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), le chlordécone a été interdit aux États-Unis dès 1977 et en France métropolitaine en 1990. En Martinique et en Guadeloupe, le chlordécone a cependant continué d’être utilisé dans les bananeraies pour lutter contre le charançon du bananier en vertu d’une dérogation gouvernementale. Ce n’est qu’en 1999 qu’a éclaté le scandale sanitaire autour de son utilisation, lorsqu’une campagne de la Direction de la santé et du développement social a montré que les sols sont contaminés pour des siècles, tout comme les rivières, le littoral marin, le bétail, les volailles, les poissons, les crustacés et les légumes.
Selon une enquête datant de 2018 de Santé publique France, la quasi-totalité des Guadeloupéens (95%) et des Martiniquais (92%) sont contaminés au chlordécone, occasionnant le développement de divers troubles et maladies. Ainsi, chez les populations antillaises, le taux d’incidence du cancer de la prostate est l’un des plus élevés au monde, avec 600 nouveaux cas par an.
De nombreux cas de cancer
Car le chlordécone n’est pas seulement associé au cancer de la prostate. Très exposés au chlordécone, les îles de la Guadeloupe et de la Martinique présentent aussi des taux d’incidence élevés pour d’autres tumeurs. Des études ont documenté l’action de la chlordécone sur les récepteurs des œstrogènes, qui favorise le développement de cancers hormono-dépendants, relève l'ARS de Martinique.
La Martinique affiche ainsi des taux d’incidence plus élevés que la métropole pour quatre localisations tumorales : la prostate, le col de l’utérus, l’estomac et les myélomes multiples, pour lesquels une étude de l’Institut de veille sanitaire (INVS) soulignait dès 2011 une association entre risque de ce cancer de la moelle osseuse et vie en zone très polluée par le pesticide.
Un impact sur la grossesse et la santé des enfants
Classé comme perturbateur endocrinien, le chlordécone est aussi suspecté d’être à l’origine de sévères troubles neurologiques, occasionnant des troubles de la motricité, de l’humeur, de l’élocution et de la mémoire immédiate, ainsi que des mouvements anarchiques des globes oculaire.
Selon le Plan Chlordécone, ce pesticide interfère avec le fonctionnement du système hormonal et peut être à l’origine d’effets sur la grossesse et le développement des jeunes enfants. Ainsi, une étude appelée "TIMOUN" menée en Guadeloupe entre 2004 et 2007 auprès de 1 068 femmes enceintes a montré que plus la teneur en chlordécone dans le sang est élevée, plus la durée de la grossesse diminue et plus le risque d’un accouchement prématuré augmente.
Cette étude s’est aussi penchée sur le développement psychomoteur des nourrissons exposés au chlordécone. Ce dernier parvient à traverser la barrière placentaire, ce qui signifie que les enfants sont exposés au pesticide dès les premiers stades de leur développement. 150 enfants ont été suivis à 7 et 18 mois afin d’évaluer l’impact de l’exposition à la chlordécone sur leur développement. Le principal effet avant 18 mois était des niveaux d’hormones thyroïdiennes élevés dans le sang, ce qui est un indicateur de la mémoire visuelle à court terme et sur la motricité fine. À 18 mois, seul le développement moteur fin chez les garçons était encore impacté.
En revanche, l’exposition au chlordécone semble avoir eu un impact limité sur la fertilité des hommes. Une étude transversale menée en Guadeloupe entre 1999 et 2001 n’a relevé aucune association entre les concentrations plasmatiques en chlordécone et les paramètres du sperme (volume séminal, nombre, mobilité et morphologie des spermatozoïdes) ainsi qu’avec le délai nécessaire à concevoir un enfant. Des travaux menés sur les souris contredisent toutefois ces données, montrant qu'une exposition au chlordécone a des effets transgénérationnels sur la production de spermatozoïdes.