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Troubles du sommeil, anxiété

Les seniors assommés par les psychotropes

Par Mathias Germain

Une personne âgée sur trois consomme des psychotropes, souvent à mauvais escient. La Haute autorité de santé propose de modifier les comportements des patients.

« Nous avons une patiente qui a pris des benzodiazépines pendant 40 ans », témoigne le Dr Jean-Pierre Hilly, généraliste dans les Ardennes, qui s'est penché avec huit confrères sur la consommation médicamenteuse de leurs patients. Ce cas n'est pas isolé. Les Français sont de gros consommateurs de psychotropes. Une personne sur quatre en a avalé un au cours de l'année. Et la consommation augmente avec l'âge. Face à cette situation, la Haute autorité de santé (HAS), en collaboration avec la Direction générale de la santé (DGS), se penche depuis 2007 sur la prescription des psychotropes chez les personnes de plus de 65 ans, soit dix millions de personnes en France. Ce programme « participatif » a permis, en un an, de faire le point sur quatre situations cliniques : l'anxiété, l'insomnie, la dépression et les troubles du comportement.


En regroupant pour la première fois les données fournies par les trois régimes de l'Assurance-maladie, la HAS a pu réaliser un état des lieux plus précis. Pour combattre l'insomnie et l'anxiété, 32 % des plus de 65 ans et près de 40 % des plus de 85 ans se sont vu prescrire un hypnotique ou un anxiolytique entre septembre et décembre 2007. Pour ces deux situations cliniques, le Dr Armelle Desplanques, chef de projet à la HAS, estime qu'il y a une « surprescription indiscutable ». Selon elle, « il y a beaucoup de plaintes d'insomnie mais très peu sont avérées, et très peu nécessiteraient la prescription de somnifères ».

En effet, la physiologie du sommeil est différente chez les personnes âgées. « Elles se réveillent plus tôt, et leur sommeil est fractionné, explique le Dr Sylvie Royant-Parola, psychiatre et spécialiste du sommeil, responsable du réseau Morphée à Garches (92). Au lieu de prescrire un médicament, cette spécialiste de terrain recommande d'expliquer ces changements physiologiques au patient, et de les inciter à s'exposer à la lumière, c'est-à-dire sortir de chez soi ou avoir un éclairage approprié. Quant à l'anxiété, « les signes cachent souvent une dépression », estime le Dr Armelle Desplanques, qui rappelle « qu'en cas de trouble anxieux caractérisé, la prescription de tranquillisants n'est pas recommandée ».

Face à la dépression, la HAS souligne les difficultés de diagnostic. En 2007, 13 % des plus de 65 ans et 18 % des plus de 85 ans ont consommé de manière régulière des antidépresseurs. Des chiffres dont la HAS ignore s'ils sont trop ou pas assez élevés. « Il y a souvent confusion entre blues, déprime, et dépression », note la responsable du projet, qui rappelle que « nombre de dépressions graves n'est pas diagnostiqué ». Ce serait une des explications du niveau de suicide élevé chez les personnes âgées, 1800 par an chez les plus de 75 ans.

Concernant les troubles du comportement, 3 % des plus de 65 ans et près de 6 % des plus de 85 ans et 18 % chez les personnes souffrant de maladie d'Alzheimer ont eu une prescription régulière de neuroleptiques. « Il existe une surprescription de neuroleptiques au long cours chez les malades d'Alzheimer », affirme le Dr Armelle Desplanques. La difficulté est de ne pas confondre les troubles chroniques des malades d'Alzheimer avec les épisodes aigus de confusion. Ces derniers peuvent être réduits par une sédation médicamenteuse de courte durée. Mais la prescription de neuroleptiques au long cours « n'est pas indiquée dans les troubles du comportement », rappelle la HAS. « Les malades d'Alzheimer devraient bénéficier plutôt des soins de psychomotriciens ou d'ergothérapeutes », préconise le Dr Benoît Lavallart, membre de la mission de pilotage du plan Alzheimer.

Afin de modifier les habitudes de prescriptions, la HAS propose des recommandations et des outils expérimentés sur le terrain. Ils sont accessibles sur son site Internet.
Mais, le plan de la HAS repose sur les expériences de terrain menées par les praticiens. « Notre rôle est d'inciter et d'accompagner les médecins, souligne le Pr Laurent Degos, président de la HAS, pas de stigmatiser, ni de sanctionner. » La HAS se pose en plateforme d'échanges de pratiques.

A ce titre, le Dr Jean-Pierre Hilly a présenté les travaux réalisés par les huit médecins du « Cercle des Ardennes ». Afin de faire baisser leur prescriptions de benzodiazépines, ils ont mis au point un questionnaire pour le patient. 102 personnes de 74 ans d'âge moyen, prenant des benzodiazépines depuis 1 à 40 ans, ont bénéficié de ces consultations approfondies en 2006. 53 % d'entre elles ont cessé leur usage depuis 18 mois, 22 % ont considérablement réduit les doses. « La CPAM et la MSA nous ont indiqué que nous avions baissé de 30 % nos prescriptions de psychotropes, témoigne le Dr Jean-Pierre Hilly. Et certains patients ont réussi dans le même temps à réduire aussi leur consommation d'autres médicaments. »

« Ce type d'expérience n'est pas unique, souligne le Dr Philippe Nicot, qui a mené un audit sur les prescriptions chez les personnes âgées en Limousin. Pour les encourager et les multiplier, l'assurance-maladie devrait cesser son discours disqualifiant, et valoriser financièrement le temps pris par les médecins pour analyser leurs pratiques. » Pour changer ses habitudes, ces médecins de terrain recommandent de ne pas y réfléchir seul, et de veiller au préalable à l'organisation du dossier patient.