Entre juin 2012 et juin 2013, les autorités britanniques ont recensé 13400 cas d’automutilation chez des jeunes filles âgées de 15 à 19 ans. Mais le plus inquiétant dans le rapport du Health and Social Care Information Centre (HSCIC), c’est que le nombre d’adolescentes admises à l’hôpital pour des scarifications ou des brûlures cutanées a bondi de 10 % en seulement an. Outre-Manche, ce constat préoccupe évidemment les médecins qui mettent en cause « le climat toxique » dans lequel grandissent les adolescents actuellement. Cyber-intimidation, perspectives de travail peu réjouissantes et une société obsédée par l’image du corps, sont quelques unes des raisons invoquées par ces spécialistes pour expliquer le mal-être grandissant des adolescents.
Un sujet tabou en France D’après les médecins en charge des services hospitaliers pour adolescents, même si ce phénomène n’est pas chiffré, la tendance serait la même. « C’est encore un sujet tabou en France. Comme si l’automutilation renvoyait à des responsabilités collectives ou parentales, explique le Dr Xavier Pommereau, psychiatre directeur du Pôle aquitain de l'adolescent au centre Abadie à Bordeaux. Pourtant c’est une évolution de la symptomatologie de la souffrance des ados qui colle à l’évolution des modes de vie actuels ». Alors qu’il y a 20 ans, les adolescentes exprimaient leur malaise en s’évanouissant ou en faisant des sortes de crises de spasmophilie, aujourd’hui, les spécialistes confirment voir de plus en plus de jeunes filles avec des blessures cutanées auto-infligées.
Ecoutez le Dr Xavier Pommereau, psychiatre directeur du Pôle aquitain de l'adolescent (centre Abadie à Bordeaux): « Ce sont des comportements très fréquents aujourd’hui. Depuis une dizaine d’années, c’est une tendance sociétale, n’importe quel prof vous dira qu’il a déjà vu une adolescente se couper en plein cours. »
Les jeunes garçons ne sont pas épargnés par ce phénomène. Bien que moins fréquente chez eux, l’automutilation a tout de même conduit près de 4000 adolescents à l’hôpital entre juin 2012 et juin 2013 au Royaume Uni. « Quand les garçons s’infligent ce type de blessures, c’est souvent beaucoup plus grave. Par exemple, un garçon qui se grave une croix gammée au cutter sur la joue ou sur le ventre, c’est quasiment à chaque fois un ado qui souffre d’un trouble de l’identité ou d’un trouble mental », précise Xavier Pommereau.
La localisation traduit un type de souffrance Les spécialistes des adolescents précisent que toutes les automutilations n’ont pas la même signification, ni la même valeur diagnostique. Certaines localisations traduisent un mal-être plus profond ou encore la présence d’une maladie mentale. Les scarifications typiques, comme les brûlures ou les coupures superficielles sur les avant-bras, correspondent le plus souvent à la simple manifestation d’une souffrance. Une attitude qu’il ne faut pas banaliser pour autant, mais qui ne signifie généralement pas, que la jeune fille est atteinte d’un trouble mental.
Ecoutez le Dr Xavier Pommereau : « Les scarifications à l’intérieur des cuisses ou sur le ventre révèlent une forte probabilité de violences sexuelles subies. Sur la poitrine, le cou ou la face, c’est souvent significatif de troubles graves de l’identité. »
Un signe à prendre au sérieux Pour les experts de la psychologie des adolescents, tous les types d’automutilation sont à prendre au sérieux. Quelque soit leur gravité, leur localisation ou leur fréquence, devant le moindre signe d’automutilation, les parents doivent réagir et surtout consulter un médecin spécialiste.
« Un enfant qui s’automutile, cela veut dire qu’il est écorché vif au sens propre. Cela signifie qu’à l’intérieur de lui, il y a des choses qui le brûlent. Il ne faut surtout pas l’engueuler ou le faire culpabiliser en lui disant qu’il le fait pour se rendre intéressant ou pour faire souffrir tes parents, précise Xavier Pommereau. Il faut que les parents comprennent que c’est une tentative de se soustraire à la souffrance qu’il ressent et qu’il traduit en souffrance physique. »
Ecoutez le Dr Xavier Pommereau : « Il est très rare que les parents ne le voient pas. En général, ces jeunes filles laissent trainer un mouchoir plein de sang ou autre…Et le fait, qu’elle reconnaisse la nature automutilatrice de ces blessures, c’est déjà important. »
Les parents attendent bien souvent plusieurs mois, voir plusieurs années, avant de les conduire en consultation. C'est l’un des problèmes majeurs pour identifier et prendre en charge ces enfants, reconnaissent les spécialistes. Une attitude qui n’est pas sans risque. « Nous avons mené une étude qui montre que le fait de s’automutiler est en soit, un signe prédictif important, de tentative de suicide ultérieure. Si on ne les aide pas, si ces petites coupures ne suffisent pas à calmer la souffrance, le risque c’est que les adolescents finissent par penser à d’autres moyens de coupure plus radicaux », conclut Xavier Pommereau.