Pourquoi docteur - Pourquoi l’INCa fait-elle de la prévention une de ses priorités dans la lutte contre le cancer ?
Thierry Breton - Parce qu’en France et en Europe, 40% des cancers sont causés par des facteurs de risque évitables : le tabac, l’alcool, les régimes alimentaires malsains, le manque d’activité physique, la pollution et les agents infectieux.
La prévention est donc la principale marge de progression dont nous disposons pour contenir le nombre de nouveaux cas de cancer, qui vont mécaniquement augmenter avec le vieillissement de la population.
Que prévoyez-vous concrètement de faire à ce sujet dans les années à venir ?
Différents types d’actions vont être mises en place, notamment pour arriver à une Europe sans tabac à l’horizon 2035. Nous prévoyons de travailler avec tous les acteurs européens (Etats, entreprises, mutuelles...) pour dénormaliser sa consommation et accompagner les personnes qui veulent arrêter de fumer. Nous voulons aussi réfléchir tous ensemble aux réglementations qui régissent la consommation de tabac en France et en Europe, notamment concernant le prix de ce produit et sa circulation entre les États membres de l’Union.
Le tabac est, de très loin, le premier facteur de risque de cancer, et un polluant environnemental important.
Un mot sur la vaccination anti-HPV, qui permet d’éviter de développer un cancer du col de l’utérus ?
Comparé à des pays comme l’Australie, nous sommes très en retard, alors que c’est un vaccin anti-cancer très efficace, pour les filles comme pour les garçons. Nous allons donc travailler à rendre ce vaccin plus acceptable par les familles, en mobilisant notamment les écoles et les médecins.
Le droit à l’oubli va être ramené à cinq ans au lieu de dix. C’est une bonne chose, selon vous ?
C’est une très belle avancée pour les patients, car la lutte contre le cancer ne passe pas seulement par les soins. L’INCa est engagé depuis des années sur le dossier du droit à l’oubli, que nous voulons d’ailleurs promouvoir au niveau européen.
La HAS (Haute Autorité de Santé) a fait un petit pas vers le dépistage organisé du cancer du poumon. Qu’en pensez-vous ?
Nous y sommes favorables. L’INCa va d’ailleurs lancer un programme pilote cette année pour préciser sur quels critères les personnes pourront bénéficier de ce dépistage (âge, symptômes, comorbidités, etc)...
Combien de temps va durer ce programme pilote ?
4 à 5 ans, car on a besoin d’avoir du recul. Le geste pratiqué en cas de dépistage positif est très invasif : c’est une grosse opération, qui peut avoir des conséquences négatives. Il faut donc vraiment qu’elle soit faite sur les personnes qui en ont besoin, autrement dit que la balance bénéfice/risque du dépistage organisé soit très favorable.
La covid-19 a-t-elle retardé la prise en charge des malades atteints de cancer ?
Le retard pris pour les exérèses, qui sont les opérations où le chirurgien extrait la tumeur du corps du malade, a été bien rattrapé, et est aujourd'hui moins important que ce que l'on craignait. D’autres opérations importantes, mais non vitales, comme les reconstructions mammaires, sont en revanche toujours reportées.
Le retard pris pour les exérèses a-t-il entrainé une perte de chance pour certains malades ?
Dans quelques cas, oui, malheureusement.
Beaucoup de malades atteints d’un cancer ou d’ex-malades ne comprennent pas la priorité qui est donnée à la Covid-19. Êtes-vous d’accord avec eux ?
Je comprends qu’ils puissent penser cela. Mais l'arrivée de la Covid-19, dont on ne savait rien à l'époque, a sidéré tout le monde et déstabilisé l'ensemble du système de santé français. Et depuis le premier confinement, nous avons mis en place des stratégies thérapeutiques qui permettent d’éviter au maximum la perte de chances.
Pendant toute cette crise de la Covid-19, les services de cancérologie n’ont jamais été fermés, ils ont été adaptés. Par exemple, des médecins ont pris la décision de soigner certains malades en faisant la chimiothérapie avant l'opération. Des collaborations inédites entre le privé et le public ont aussi été mises en place.
Que dire à ceux qui, encore aujourd’hui, renoncent au dépistage à cause de la Covid-19 ? Je pense notamment aux personnes qui ne veulent plus se rendre à l’hôpital par peur d’être contaminées...
A l’hôpital, des parcours ont été mis en place pour faire en sorte que les malades de la Covid-19 ne croisent pas les patients atteints de cancer ou qui viennent pour un dépistage. Le risque d’attraper la Covid-19 dans un établissement de santé est donc très limité, et ne justifie pas de renoncer aux soins.