ACCUEIL > QUESTION D'ACTU > Grippe : pourquoi les Français boudent le vaccin

Campagne de vaccination saisonnière

Grippe : pourquoi les Français boudent le vaccin

Par Afsané Sabouhi

La campagne de vaccination contre la grippe pour l’hiver 2013-2014 débute aujourd’hui. Mais ce vaccin peine à convaincre de son utilité et de son efficacité.

SIMON ISABELLE/SIPA

Les chiffres présentés ce matin à l’occasion du lancement de la campagne de vaccination pour l’hiver qui s’annonce devraient confirmer la tendance : la couverture vaccinale contre la grippe diminue. Grosso modo une personne sur deux qui devrait être vaccinée car son âge ou son état de santé l’expose à des complications de la grippe ne l’est pas. En cause ? « Un problème de confiance et de perception dans la vaccination en général et dans la vaccination antigrippale en particulier », résume le Pr Serge Gilberg, médecin généraliste et membre du Comité technique des vaccinations au sein du Haut Conseil pour la Santé Publique.

Des bénéfices invisibles

La vaccination est une méthode préventive, elle empêche la survenue de la maladie. Pour la personne vaccinée, le bénéfice n’est donc pas perceptible directement, à l’inverse d’un traitement curatif pour lequel le malade peut constater sa guérison. « Même les médias tombent dans ce travers, ils se focalisent sur les 0,1 ou 0,2% d’effets secondaires, qui eux évidemment sont bien visibles. Mais il n’y a jamais un mot ou une image sur les 99,9% de vaccins sûrs et efficaces ni sur les risques qu’il y a à ne pas se faire vacciner », regrette Serge Gilberg.

Ecoutez le Pr Jean-Paul Stahl, chef du service des maladies infectieuses du CHU de Grenoble : « On s’est préparé au bug de l’an 2000, il n’y a rien eu mais personne ne s’est dit que c’était une réussite de la prévention. La vaccination souffre du même problème ! »



Ce sont finalement les patients qui ont eu eux-mêmes la grippe ou qui ont joué les garde-malades pour un proche qui sont les plus enclins à se faire vacciner car ils mesurent davantage ce que la vaccination peut leur éviter.       

Une maladie qui ne fait pas peur

Dans le cas de la grippe, non seulement les bénéfices de la vaccination ne sont pas perçus mais son utilité non plus. « Les Français pensent, à tort, que la grippe est une maladie bénigne, dont on ne meurt pas. Mais il suffit que demain, on annonce une dizaine de morts de la grippe au journal de 20h et ce sera la ruée dans les cabinets médicaux ! », affirme le Pr Serge Gilberg.


Ecoutez le Pr Jean-Paul Stahl
: « Tant que les gens n’ont pas dans leur entourage une personne qui meurt de la grippe, ce n’est pas grave, ça n’arrive qu’aux autres. »

 


Des soignants qui ne donnent pas l’exemple

En 2011, l’Institut de veille sanitaire a mesuré la couverture vaccinale des soignants en milieu hospitalier et le résultat concernant la grippe n’est pas très glorieux. Seuls 25% des soignants s’étaient fait vaccinés. Un résultat qui désespère le Pr Jean-François Bergmann, à la tête du service de Médecine Interne de l’hôpital Lariboisière à Paris : « J’arrive à convaincre davantage de cuisiniers de l’hôpital de se faire vacciner que de soignants dans l’unité de maladies infectieuses, on marche sur la tête ! »

Ecoutez le Pr Jean-François Bergmann, chef du service de Médecine Interne de l’hôpital Lariboisière à Paris : « Dans l’unité de maladies infectieuses, là où la sensibilité à l’infection devrait être maximale, on n’y arrive pas ! »



Même si on ne dispose pas de chiffres précis, il semble que les médecins généralistes soient davantage vaccinés que leurs confrères hospitaliers. Une bonne nouvelle pour la couverture vaccinale nationale car on sait que la parole de leur médecin traitant compte pour beaucoup dans la décision des Français de se faire vacciner ou non.


Un discrédit durable depuis l’épisode H1N1

La pandémie de grippe H1N1 en 2009-2010 a laissé de lourdes séquelles dans la perception que les Français ont aujourd’hui de la vaccination et de la grippe. « Dans l’esprit des gens, on a crié au loup et ce loup n’est jamais venu, résume Jean-Paul Stahl. En réalité, il était juste moins méchant qu’annoncé, pour des raisons virologiques difficiles à anticiper ». Erreurs de communication sur le risque, choix d’organisation de la vaccination dans les gymnases très critiqué, les décisions de Roselyne Bachelot, ministre de la Santé à l’époque, continuent de faire l’objet de vives critiques. «  Mais le plus grave, c’est que le pourquoi du ratage n’a pas été vraiment analysé par les professionnels de la santé publique. Le seul débriefing qui a été fait est celui qu’ont mené les parlementaires, avec un prisme purement politique et partisan », regrette le Pr Stahl. Pas sûr, dans ces conditions, que des leçons utiles aient vraiment été tirées de cet épisode raté.

Un vrai problème d’efficacité

Enfin, le vaccin grippe souffre d’un handicap d’efficacité. Tout d’abord, des dizaines d’autres virus non grippaux circulent en hiver et donnent aux malades des symptômes comparables à la grippe, c’est ce qui explique que de nombreuses personnes vaccinées attrapent quand même ce qu’elles croient être une grippe. Dans certains cas d’ailleurs, il s’agit bien d’une grippe mais d’une autre souche que celles qui figurent dans le vaccin. C’est visiblement ce qui s’est passé l’hiver dernier, la souche du virus H3N2 qui a circulé était légèrement mutée par rapport à celle qui était dans le vaccin. Mais même lorsque le vaccin est parfaitement adapté aux virus circulants, son efficacité n’est pas totale.


Ecoutez le Pr Serge Gilberg
, médecin généraliste à Paris et expert auprès du Comité technique des vaccinations : « C’est un vaccin qui ne marche qu’à 50% et encore moins chez les personnes âgées »



Dernier handicap du vaccin contre la grippe, il est saisonnier. Autrement dit, il faut se faire vacciner tous les ans à l’automne pour être protégé l’hiver qui suit car les souches de virus qui circulent peuvent changer d’une année sur l’autre. A moyen terme, il se pourrait que cette difficulté soit réglée, si les chercheurs parviennent à mettre au point un vaccin universel ciblant des éléments communs à tous les virus.