La propagation d’une maladie infectieuse tient à deux phénomènes : la contagion biologique qui fait passer le virus d’une personne à l’autre et la contagion sociale, c’est-à-dire la façon dont la société réagit à cette menace épidémique. Cette dernière est beaucoup moins rationnelle et difficilement prévisible, ce qui pose problème aux épidémiologistes pour concevoir des modèles prédictifs.
Comment savoir quelle va être la réaction de la population face à telle ou telle nouvelle mesure de précaution ou face à la menace d’une maladie infectieuse ? « Grâce aux réseaux sociaux, plaide le Pr Chris Bauch, chercheur en Mathématiques appliquées à l’Université de Waterloo au Canada et auteur d’un article publié sur ce sujet vendredi dans la revue Science. Nous pourrions créer des modèles intégrant les données de Facebook, Twitter et autres pour permettre aux chercheurs d’observer comment les réseaux de contagion sociale interagissent avec ceux de contagion biologique que nous connaissons mieux ». Il cite par exemple le sujet de la vaccination : lorsque des personnalités très suivies sur les réseaux sociaux suggèrent que la vaccination présente des risques, elles alimentent la peur des vaccins et peuvent avoir un impact sur la couverture vaccinale. Ce type d’information pourrait donc permettre d’affiner les modèles de prédiction d’épidémies sur lesquels planchent les chercheurs et sur lesquels s’appuient par la suite les décideurs politiques.
Attirer de jeunes recrues
Pour le moment, les réseaux sociaux sont plutôt utilisés en épidémiologie pour recruter des volontaires pour participer à des études.
Ecoutez Guy Fagherazzi, épidémiologiste de l’Unité Inserm Nutrition, Hormones et santé des femmes : « Le recrutement via les réseaux sociaux est très adapté aux études qui s’intéressent aux populations jeunes. »
« Une équipe australienne de Melbourne a par exemple recruté plus de 250 jeunes femmes en 4 mois exclusivement via des publicités sur Facebook pour une étude sur la santé des 16-25 ans », cite Guy Fagherazzi, dont l’unité a organisé le 21 mai dernier un colloque international sur l’utilisation des outils du web 2.0 en épidémiologie. En France, l’étude Nutrinet, qui scrute les habitudes alimentaires de milliers d’internautes français et l’étude I-Share consacrée à la santé des étudiants, utilisent toutes les deux le réseau facebook comme outil pour se faire connaître et recruter de nouveaux volontaires.
Outre le fait d’être un vecteur de communication très utile lorsqu’on s’intéresse à la santé des jeunes, les réseaux sociaux constituent aussi un poste d’observation privilégié de la santé des populations. En septembre 2011 dans une publication de la revue Science, une équipe américaine avait analysé plus de 500 millions de tweets publiés à travers le monde entre 2008 et 2010. En tenant compte des hémisphères et des fuseaux horaires, cette équipe de psychiatres et de sociologues a retrouvé un schéma internationalement partagé : les affects positifs comme le bonheur et l’enthousiasme étaient majoritairement partagés aux heures de sortie de bureau et le week-end tandis qu’on observait des pics en fin de soirée de tweets concernant le stress, l’angoisse, la peur ou la culpabilité.
Les tweets et les statuts Facebook évoquant fièvre, mouchoirs et autres joies des maladies hivernales sont également des indicateurs précieux pour les épidémiologistes qui surveillent les maladies infectieuses et plus particulièrement la grippe. En analysant le fil Twitter de 630 000 New Yorkais sur un mois en 2010, des chercheurs de l’Université de Rochester sont parvenus à cartographier en temps réel la propagation de la grippe dans la ville. L’algorithme utilisé pour ce projet baptisé Germtracker était capable de prédire avec une précision de 94% le prochain twitto contaminé.
Inspirée de la même idée, l’application « Help, I have the flu » analyse les statuts Facebook de vos amis à la recherche des mots tels que grippe ou tousser, vous pouvez ainsi savoir en temps réel avec qui il vaut mieux éviter de passer votre samedi soir.
Google grisé par la grippe 2013
Au delà des réseaux sociaux, les requêtes des internautes dans les moteurs de recherche sont également de bons indicateurs de leur santé. C’est ce que Google a mis à profit dès 2008 dans son outil Google Flu Trends qui permet de suivre l’épidémie de grippe en quasi temps réel quand les données des systèmes de surveillance publics ont au minimum une semaine de décalage.
Mais la forte épidémie de grippe qui a frappé les Etats-Unis cet hiver a tout de même montré une faiblesse de cette surveillance épidémiologique nouvelle génération. Le fait que l’épidémie démarre en novembre, plus tôt que d’habitude et que la souche virale H3N2 soit particulièrement agressive, y compris pour le système digestif, ce qui n’est pas fréquent pour les virus de la grippe a occasionné beaucoup de requêtes et a en quelque sorte induit Google Flu Trends en erreur. Ses courbes et ses pics épidémiques ont donc été très sur-estimés par rapport à la réalité, et plus que doublé par rapport aux prévisions du système fédéral de surveillance. Le problème c’est que les autorités de New York se sont appuyées sur ce pic sur-évalué pour déclarer l’état d’urgence de santé publique dans les hôpitaux de la ville, une décision très contestée depuis. Interrogé à ce sujet dans la revue Science en février dernier, l’épidémiologiste français Alain-Jacques Valleron, fondateur en 1984 du réseau Sentinelles, premier réseau de surveillance d’épidémies informatisée, voyait dans cet épisode new-yorkais la démonstration de l’utilité conjointe des réseaux de surveillance classique et des nouveaux outils. Pour trouver le juste équilibre entre validité des données et réactivité.
Première diffusion: 9 octobre 2013