C’est un sujet dont on parle peu ou mal, par honte, par dégoût, par tabou, et qui pourtant concerne tout le monde sans exception : les selles. Cette matière composée d’eau (à 75 % !), de bactéries mortes et de résidus d’aliments non absorbés par le système digestif, chaque adulte en produit 200 grammes par jour en moyenne, soit plus de 70 kilos par an. Un passage obligé pour tous, qui diffère selon chacun. Entre sa fréquence et son évacuation, en passant par les différents aspects qu’elle peut revêtir, la grosse commission en dit long sur notre état de santé. Elle tend même à influencer notre psychisme si elle devient un calvaire. Alors que, selon un sondage Ifop publié en 2017, près de la moitié des Français (48 %) souffrent d’au moins un type de troubles digestifs, comme des douleurs abdominales, des gaz fréquents ou encore un transit irrégulier, il serait dommage de ne pas s’y intéresser de plus près. Plongée (théorique) dans les entrailles.
Et vous, comment est votre transit ?
Le transit, c’est-à-dire l’évacuation des selles, « la vidange du côlon », varie en fonction de trois paramètres : « la fréquence, la facilité d’évacuation et la consistance », explique le Dr Philippe Godeberge, gastro-entérologue et co-auteur de Qu’est-ce que tu as dans le ventre ? (éd. Hachette Pratique, 2017). Une majorité de la population va à la selle une fois par jour, mais entre 3 fois par jour et 3 fois par semaine (soit 95 % des gens selon l’American Journal of Gastroenterology), on estime que c’est normal. En revanche, « si vous y allez plus de trois fois par jour, on parlera de diarrhée, qu'elle soit ponctuelle, causée par une intoxication alimentaire, ou plus chronique, liée au stress. Si vous y allez moins de trois fois par semaine, vous êtes sujet à la constipation. » La facilité d’évacuation, elle, est très disparate : « Cela dépend souvent du psychisme de chacun, des traumatismes individuels, mais aussi du contexte ou du lieu : certaines personnes sont incapables d’aller correctement à la selle ailleurs que chez eux. »
Reste la consistance des matières organiques. Pour faciliter le dialogue avec les patients, les médecins se basent notamment sur l’échelle de Bristol, publiée en 1997, qui classe les différents types de selles selon leur consistance. Du type 1 (selles dures, séparées en morceaux compacts, comme des crottes de chèvre) au type 7 (selles liquides), en passant par le type 4 (l’étron dit parfait, lisse et doux « comme une saucisse »). Mais cette échelle est surtout un « outil de communication » et « ne permet pas d’établir un véritable diagnostic », prévient le Dr Godeberge. « L’état de nos excréments dépend d’abord de ce qu’on ingère. La médecine basée sur l’analyse des selles (spumeuses, vertes, collantes, nauséabondes...) n'est plus de mise. Certes, une consistance anormale peut être prise en compte, voire alerter, mais sans un être un outil diagnostic pertinent pour aborder une éventuelle pathologie sous-jacente. »
Mais alors, quand s’inquiéter ? A partir de quand un transit qui varie est-il constitutif d’un symptôme pathologique ? Trois signes peuvent alerter, selon le gastro-entérologue : « Quand un patient se plaint d’un changement du transit inhabituel et relativement récent (moins de 6 mois), d’une dégradation de la qualité de vie, et de l’apparition de signes de gravité, tels que l’altération de l’état général (fatigue inhabituelle, perte de poids...) ou la présence de sang dans les selles. » La question d’une éventuelle pathologie peut alors se poser : maladies inflammatoires de l’intestin (comme la maladie de Crohn), cancer colorectal, maladies cœliaques, séquelles de prise de médicaments... « Mais de très loin, le diagnostic le plus fréquent, lorsque le fonctionnement intestinal n’est pas jugé favorable ou confortable, est le syndrome de l’intestin irritable. »
Alimentation et anxiété
Si l’on exclut les maladies, le premier facteur qui influence le transit et l’état des selles reste l’alimentation. « La recommandation universelle est d’avoir une alimentation régulière, bien hydratée et plutôt riche en fibres, précise le Dr Godeberge, mais il n’y a pas de solution miracle ! » Il convient en effet de toujours adapter le régime au diagnostic : « Quand on a des selles dures, l’objectif est d’augmenter les fibres dans son alimentation, de diminuer la part de féculents et d’augmenter l’hydratation. Mais quand on souffre de diarrhée (la « vraie », pas la fausse diarrhée réactionnelle à la constipation), le but est de réduire la quantité de fibres et de produits stimulants comme le café ou la cigarette. »
C’est également la diététique qui détermine en premier lieu la couleur de nos selles, habituellement marron foncé (à cause de la bile). Une grande consommation de légumes verts ou riches en bêta-carotènes (carotte, patate douce...) aura ainsi tendance à teinter les selles de couleur verte ou orange, le chou rouge et la betterave de couleur rouge (quand ce n’est pas du sang). Des selles noires peuvent être causées par des compléments alimentaires en fer (sinon il est conseillé de consulter). Leur odeur est aussi d’abord une affaire d’alimentation. Pas de quoi s’alarmer d’une maladie chronique, donc, si elle est parfois nauséabonde. « Dans certains cas, l’odeur est liée au profil du microbiote, mais la plupart du temps, elle reflète votre type d’alimentation : si vous ne mangez que de la viande pendant 4 jours, il est certain que vos selles seront plus fétides – il n’y a qu’à constater les différences entre les excréments d’un carnivore et d’un herbivore. »
Déféquer, tout un rituel
Si nos selles sont un reflet de notre alimentation, elles sont aussi influencées par ce que l’on est. « Il y a souvent une confusion chez les patients qui rapportent leur anxiété à un mauvais fonctionnement de leur intestin, alors que c'est leur anxiété qui génère ce mauvais fonctionnement ! L’activité physique et la relaxation, parce qu’elles sont aussi anti-stress, peuvent jouer un rôle essentiel dans le bon fonctionnement de l’intestin. »
Pour une évacuation « qui ne soit pas traumatique », il est judicieux d’y aller « sereinement, dès qu’on en a envie », en respectant certaines règles, conseille le spécialiste des intestins. « Il faut prendre son temps pour l’évacuation de son côlon, cela ne se fait pas en 30 secondes le matin avant d’aller travailler. Mieux vaut également se sentir à l’aise dans son environnement, et se focaliser sur l’acte uniquement. » Traduction : ne prenez pas votre téléphone avec vous pour lire vos mails (ou cet article) sur la cuvette, car « le processus physiologique ne peut pas bien se mettre en route si l’esprit est occupé à autre chose ». Sans compter que ça vous évitera d’y rester plus que nécessaire, ce qui n’est pas recommandé... Dernier conseil pour la route, « être en bonne position anatomique. Le petit banc pour surélever les pieds et donc anguler plus nettement les cuisses sur le tronc est idéal pour faciliter l’évacuation. » Une envie, du temps, de la concentration, une posture : vous l’aurez compris, « ritualiser le processus » est la clé du bonheur intestinal.