La Guadeloupe détient le record du monde des cancers de la prostate. 90 Guadeloupéens en meurent chaque année. Pour certains, l’origine est génétique. Pour d’autres, le coupable c’est le chlordécone, cet insecticide utilisé dans les plantations de bananes. Pour le moment, le partage des responsabilités n’est pas établi. L’INVS et l’Inserm doivent remettre des conclusions au premier trimestre 2009. En attendant, Elie Domota, le leader du mouvement de protestation actuel dans ce département d’outre-mer, ne se prive pas de donner son avis. « Je suis choqué d’entendre dire que l’origine des cancers de la prostate serait héréditaire, déclarait-il récemment sur les ondes de France-Inter. Le chlordécone a bien été considéré comme dangereux puisque les Etats-Unis l’ont interdit dès 1976. En métropole, il a fallu attendre 1990 et en Guadeloupe, encore trois ans de plus ! », s’insurge le leader du LKP.
Y aurait-il deux poids deux mesures entre la métropole et l’outre-mer ? D’un point de vue économique, c’est en tout cas ce sentiment d’inéquité qui est à l’origine des cinq semaines de paralysie de la Guadeloupe. Reste maintenant à savoir si l’outre-mer souffre aussi d’une situation sanitaire d’exception. L’existence de pathologies tropicales comme la dengue, la drépanocytose, le paludisme, ou encore le sida place évidemment les départements et territoires d’outre-mer dans une position particulière.
Mais les Antilles, la Guyane ou encore la Réunion ne sont pas touchées que par des maladies tropicales. Loin de là. D’autres indicateurs de santé sont au rouge. « A la Réunion, nous avons trois fois plus de cas de diabète qu’en métropole », indique par exemple le Dr François André, président de l’Union régionale des médecins de l’île. Pas moins de 35 % des adultes sont en surpoids et 15 % obèses. Face à l’hypertension artérielle, les habitants des D.O.M. et de la métropole ne sont pas non plus sur un pied d’égalité. Chez les femmes notamment, les écarts de prévalence sont très nets : 18,4 % contre 9,6 % selon une récente étude de l’INVS. La mortalité prématurée résume à elle seule ces inégalités. Au début des années 2000, on mourait quatre ans plus tôt à la Réunion qu’en métropole. Avec les Antilles, le différentiel est d’un peu moins de deux ans.
Pourquoi un tel fossé sanitaire ? Les causes sont multiples et différentes selon les départements. Mais, on peut trouver des explications communes. « A la Réunion, nous avons 42 % de patients bénéficiaires de la CMU, note le Dr Humbert Gojon, ORL. Ils sont aussi bien pris en charge que les autres, » s’empresse-t-il d’ajouter mais les situations de précarité vont souvent de pair avec un état de santé dégradé. Nos lacunes en matière de prévention font aussi des dégâts outre-mer. C’est en tout cas la conviction du Pr Flahaut. « Nous sommes d’ailleurs là au bord de l’inacceptable, souligne le président de l’Ecole des hautes études en santé publique. On pourrait quand même penser que dans un pays comme la France, l’action préventive suffirait à éradiquer le paludisme autochtone. Ce n’est pas du tout le cas au bord du fleuve Maroni en Guyane. Et ce retard dans la prévention produit des effets particulièrement délétères chez des populations précaires. »
La démographie médicale est aussi montrée du doigt. Il faut dire que les densités de professionnels de santé sont inférieures de 30 à 40 % aux Antilles et de 50 à 60 % en Guyane par rapport à la métropole. Et les manques sont particulièrement criants dans les spécialités techniques. « Nous avons du mal à attirer des chirurgiens, reconnaît le président de l’URML de la Réunion. D’une part, parce qu’ils sont très peu nombreux à pouvoir exercer en secteur 2 et d’autre part, parce que les actes techniques sont cotés comme en métropole alors que le coût d’achat et d’entretien de notre matériel est beaucoup plus élevé. » Les consultations bénéficient en revanche d’une majoration de 10 % aux Antilles et de 20 % à la Réunion, à Mayotte et en Guyane.
A Cayenne, la situation est critique. L’hôpital pourrait bien se retrouver dans les prochaines semaines sans oncologue. Les deux spécialistes doivent partir et l’établissement peine à leur trouver un remplaçant. En attendant, des évacuations sanitaires sont prévus pour les nouveaux patients atteints de cancer… Le secrétariat d’Etat à l’outre-mer vient d’ailleurs d’annoncer une augmentation du numerus clausus de 16 % pour la rentrée 2009.
Des explications d’ordre culturel sont aussi souvent avancées pour justifier ces écarts. Elles ont cependant leurs limites, comme l’a montré la crise du chikingunhya. « Nous avons pu constater que la recherche du risque zéro était la même dans les D.O.M. qu’en métropole, déclare le Pr Flahaut. Ce n’est pas parce qu’il y a des moustiques dans cette zone que la population accepte sans broncher. Non, ça ne passe pas. » Pour autant, le directeur de l’EHESP tient à souligner que le système de soins a bien géré l’épidémie de chikungunya. En tant de crise, le système de santé fait face. Au quotidien, la prévention fait défaut.
La ministre de la Santé doit présenter dans les semaines qui viennent un plan de santé outre-mer. En mai dernier, Roselyne Bachelot en avait déjà annoncé les grandes lignes : la fidélisation des personnels soignants, la prise en compte des spécificités insulaires et le développement des coopérations, en particulier concernant la recherche. Rattrapée par les événements en Guadeloupe, la ministre a déclaré son intention de « mettre le paquet » sur les D.O.M-T.O.M... « J’ai décidé de consacrer deux fois plus d’argent par tête d’habitant aux habitants des Antilles qu’à un habitant de la métropole », a-t-elle précisé sur l’antenne de RTL.
Une manne financière plutôt bien accueillie mais les professionnels de santé plaident avant tout pour la mise en place de solutions adaptées. « En Nouvelle-Calédonie, comme c’est un territoire d’outre-mer, des lois différentes de la métropole peuvent être votées. Ce statut a permis la création de dispensaires locaux avec des généralistes formés à certains actes techniques comme les accouchements. Ce qui a permis de faire chuter la mortalité maternelle, » rappelle le Dr François Danet qui a exercé en Nouvelle-Calédonie. Les D.O.M. ont aussi été les premiers à expérimenter l’aide à l’achat d’une complémentaire pour les personnes situées juste au-dessus du plafond de la CMU. L’outre-mer pourrait devenir un bon terrain d’innovation.