“Edition de gènes appliquée de manière imprudente”
En 2018, le biophyisicien He Jiankui avait défrayé la chronique en modifiant in vitro des embryons de bébés humains qu’il voulait protéger d’une infection au VIH, avant de les implanter dans l’utérus de participantes à son essai. Trois enfants, dont deux jumelles Lulu et Nana, les premiers enfants génétiquement modifiés, étaient nés de cette expérience condamnée par la communauté internationale à l’époque. La Chine l’avait placé en détention pendant 3 ans, pour violation de la réglementation médicale, estimant que la technologie d'édition de gènes avait été appliquée "de manière imprudente à la procréation assistée chez l’humain”.
"Le patient de Berlin"
Le raisonnement de He Jankui s’appuyait sur la seule personne à l’époque à avoir été déclarée guérie du VIH, Timothy Brown, surnommé "le patient de Berlin". Traité pour une leucémie, il avait bénéficié d'une greffe de moelle osseuse provenant d'un donneur doté d'une mutation génétique rare empêchant le virus de pénétrer dans les cellules. Depuis 2007, "le patient de Berlin" ne présente plus aucune trace du virus dans l'organisme. C'est cette mutation du gène CCR5 (CCR5 delta 32) qui concerne 0,3% de la population mondiale que les chercheurs auraient ainsi inséré dans le génome de Lulu et Nana. Au total, entre mars 2017 et novembre 2018, huit couples volontaires ont été recrutés en passant par une association pékinoise d’aide aux malades du Sida. Ces couples dits "sérodiscordants" -un père porteur du virus et une mère saine- n’auraient sinon pas eu accès à des services de procréation médicalement assistée (PMA).
La technique CRISPR-Cas9
He Jiankui avait utilisé la technique CRISPR-Cas9, pour “Clustered regularly interspaced short palindromic regions”, dont disposent les chercheurs depuis plusieurs années. Cet outil génétique est très performant pour modifier précisément des portions d’ADN, le support de l’information génétique, chez les êtres vivants. Au-delà des questions éthiques posées par la modification génétique d’embryons, l’utilisation des ciseaux génétiques CRIPSR-Cas9 (elle est toujours interdite hors expériences en. laboratoire) aurait pu créer des erreurs dans l’ADN des deux jumelles, les prédisposant à certaines maladies. En février dernier, deux spécialistes chinois de la bioéthique ont appelé le gouvernement chinois à créer un programme de recherche pour surveiller la santé de ces bébés CRISPR. Ils appellent à réaliser des analyses génétiques pour déterminer si leur ADN contient des erreurs génétiques qu’elles pourraient transmettre à leurs propres enfants.
Par ailleurs, la modification du gène CCR5 ne s'inscrit pas dans une logique thérapeutique, puisque Lulu et Nana ne sont pas malades. Il s'agirait d’un avantage qui leur serait conféré, si l’expérience s’avère réussie, ce qui n’a pas été prouvé pour le moment.
Selon le journal américain MIT Technology Review qui a confirmé sa sortie de prison, He Jiankui avait pensé pouvoir "contrôler l’épidémie de VIH" et se voyait en lice pour un Prix Nobel. A la place, son expérimentation lui aura coûté sa liberté et sa carrière.