Pourquoi docteur - Pouvez-vous nous expliquer ce que sont les ARA2 et à quoi servent-ils ?
Jean-Jacques Mourad - Les ARA2 (antagonistes des récepteurs de l'angiotensine II) sont des médicaments qui bloquent l’action d’un récepteur particulier de l'angiotensine II. Ils ont été mis sur le marché dans les années 90 et sont très utilisés aujourd’hui pour traiter l’hypertension artérielle, car ils sont vraiment bien tolérés par les malades.
Combien de Français prennent ces médicaments ?
Beaucoup. On estime qu’un tiers des 12 millions de patients français atteints d’hypertension artérielle sont traités avec les ARA2.
Pourquoi certains craignent qu’il existe un lien entre le développement de cancers et la prise des ARA2 ?
Ce questionnement a émaillé la vie de toutes les classes d’antihypertenseurs depuis des dizaines d’années. Mais en 2010, le Dr Ilke Sipahi a publié un papier dans la prestigieuse revue The Lancet Oncology qui indiquait que les ARA2 augmentaient les risques de cancer. Cette étude avait déclenché à l’époque une enquête de la FDA, qui avait finalement éteint le signal d’alarme.
D’où venait ce risque de cancer, selon le Dr Ilke Sipahi ?
Ce chercheur a essayé de faire un lien entre le sur-risque de cancer et les impuretés contenues dans les molécules ARA2 depuis qu’elles sont fabriquées en Inde ou en Chine.
Le Dr Ilke Sipahi vient de terminer une nouvelle étude sur le même sujet, publiée cette fois-ci dans PLOS ONE. Que dit-elle ?
Cette nouvelle recherche établit des liens très discutables entre la durée d’exposition aux ARA2 et la survenue de cancers, essentiellement pulmonaires.
Peut-il y avoir effectivement un lien ?
Oui, notamment parce que le poumon est un organe où le système rénine-angiotensine est extrêmement présent, et que les ARA2 agissent là-dessus. En augmentant les taux d’angiotensine II au sein de l’organisme, les ARA2 pourraient aussi avoir de l’influence sur plein d’autres récepteurs, ce qui pourrait potentiellement avoir des effets cancérigènes. Donc l’hypothèse que ces médicaments pourraient accélérer (et non pas provoquer) le développement de tumeurs préexistantes à leur prise mérite d’être analysée.
Quelles sont les limites de la nouvelle étude parue dans PLOS ONE ?
Quand j’ai rencontré personnellement le Dr Ilke Sipahi lors d’une conférence suite à la publication de sa première étude, il m’a semblé qu’il avait beaucoup d’amertume vis-à-vis des autorités américaines. Je pense que ce chercheur a clairement un parti pris, car il semble avoir fait des ARA2 une histoire personnelle et d’amour propre, ce qui n’est pas sain.
Par ailleurs, il signe sa nouvelle étude tout seul, contrairement à la première, ce qui signifie que d’autres scientifiques n’ont pas voulu s’associer à lui pour cautionner ses résultats. Je rappelle aussi que la revue PLOS ONE est d’une qualité très moyenne, puisqu’il faut payer pour y être publié.
Sur le fond, l’auteur souligne lui-même les limites de ses travaux : il n’a pas eu accès aux données individuelles des patients. Sans connaître les facteurs confondants et explicatifs des cancers diagnostiqués, il n’a donc pas pu ajuster ses analyses.
Ensuite, concernant les potentielles impuretés cancérigènes des molécules liées à la délocalisation de leur production, toutes les études sur lesquelles il se base ont été faites alors que ces médicaments étaient encore fabriqués sous licence par les laboratoires détenant les brevets. Donc le lien temporel ne tient pas la route.
Enfin, il existe de nombreuses recherches récentes qui, en utilisant en grande partie les mêmes datas que le Dr Ilke Sipahi, ne trouvent aucun signal cancérigène lié à la prise des ARA2, ou alors un signal très léger dont les causes n’ont pas encore été explorées.
Cette recherche relance-t-elle tout de même la controverse ?
En termes de statistiques et de santé publique, la quantité de signaux cancérigènes liés aux ARA2 ne me semble vraiment pas suffisante pour en faire une affaire d’Etat. A ce stade, on ne peut pas dire que les ARA2 donnent le cancer.
Concrètement, que doit-on faire en pratique avec les ARA2 ?
Il ne faut pas affoler les soignants et les patients, et ne pas tirer de conséquences directes du nouveau papier de PLOS ONE en arrêtant les ARA2.
Pour les médecins, cet essai est tout de même l’occasion de rappeler que cette classe thérapeutique n’a rien d’indispensable, grâce notamment aux IEC (inhibiteurs de l'enzyme de conversion). Et en cas d’hypertension non contrôlée, je pense qu’il vaut mieux associer différentes classes de médicaments plutôt que de pousser les monothérapies à leur posologie la plus forte.