Des chercheurs viennent d’identifier le premier homme aveugle capable de ressentir la "texture" des nombres et des jours de la semaine, le mois d'avril le faisant par exemple penser à du plastique. Il est atteint d’une forme rare de synesthésie, un phénomène neurologique sans gravité dans lequel deux ou plusieurs sens sont associés. Certains peuvent par exemple "entendre les couleurs", ou encore associer une lettre de l'alphabet à une identité visuelle.
Un homme aveugle de naissance
Concernant le nouveau cas présenté dans la revue Neuropsychologia, le patient est né totalement aveugle de parents voyants à cause de la rubéole contractée par sa mère lorsqu’elle était enceinte. A 40 ans, il est titulaire d'un doctorat en science informatique, lit le braille et n'a pas d'antécédents neurologiques ou psychiatriques.
Il a expliqué aux scientifiques que les nombres, les lettres, les jours et les mois de l'année représentaient chacun une texture différente pour lui. Afin de tester la véracité de ses propos, les chercheurs ont créé un tableau composé de 40 carrés de matériaux différents. Pour chaque nombre, mois ou jour dans la semaine, ils lui ont demandé de déterminer quelle texture ressemblait le plus à son ressenti. "Ces textures – différentes variantes de papier, métal, coton, plastique, bois - ont été choisies pour avoir une chance de correspondre aux textures indiquées auparavant par le sujet. Il s’agit de la tâche standard pour objectiver l’expérience synesthésique, qui n’existe que dans l’imagination du ou de la synesthète. Par exemple, pour les associations chiffres-couleur, on demande à la synesthète de choisir dans une palette la couleur la plus proche de celle qu’elle imagine", explique dans Sciences et Avenir Jean-Michel Hupès, chercheur au Centre de recherche cerveau et cognition (Cerco, Université de Toulouse & CNRS), spécialiste de la synesthésie.
10 personnes témoins
Les chercheurs ont ensuite demandé à un groupe de 10 personnes témoins de procéder à la même expérience. Quelques temps plus tard, tous ont du recommencer le même processus, afin de voir s’ils trouvaient les mêmes associations.
"Il s’agit là aussi d’une démarche standard, pour s’assurer que le synesthète ne donne pas de réponses au hasard : après avoir fait la liste de toutes les associations du synesthète, on lui redemande de la faire beaucoup plus tard, et sans l’avoir prévenu qu’on le retesterait", détaille Jean-Michel Hupé. "Si les associations ont été inventées sur le moment, le synesthète a peu de chances de s’en souvenir un mois après. Comme il peut se rappeler d'un certain nombre, on utilise d’autres participants, non-synesthètes, pour avoir une idée des capacités de mémorisation dans des conditions similaires. Afin de rendre le test plus strict, on demande aux non-synesthètes de mémoriser leurs choix et on les prévient qu’ils seront retestés plus tard. Le score d’associations identiques beaucoup plus élevé pour le synesthète permet d’avoir confiance dans son témoignage", ajoute-t-il. En effet, tandis que le synesthète a donné 75% de réponses similaires à celles de la première expérience, les participants sans synesthésie ont plafonné à 7%.