« Parfois, on se sent tout petits dans nos cabinets médicaux, reconnaît le Dr Jean-Michel Calut, médecin généraliste dans le Puy-de-Dôme. Je me souviens encore des études contradictoires qui sortaient sur l’amiante. D’un côté, les médecins du Comité permanent amiante soutenaient qu’il fallait apprendre à vivre avec, de l’autre, des études britanniques alertaient sur les dangers. Et moi, dans mon cabinet, je voyais des gens en souffrance. Au départ, j’étais étonné. Après, c’est l’écœurement qui dominait. » Quand des intérêts industriels sont en jeu, il n’est pas rare que la vérité scientifique ait du mal à exploser au grand jour.
Mais, ce n’est pas la seule situation dans laquelle des études contradictoires paraissent. Récemment, deux études randomisées sur le dépistage du cancer de la prostate, parues en même temps, donnaient des résultats discordants. Rien à voir avec un lobby quelconque mais « c’est troublant, avoue le Dr Gaëtan Gentile, généraliste dans les Bouches-du-Rhône. Je suis embêté parce que mes patients vont sur Internet et sont au courant des résultats de ces études. »
Bien sûr, le phénomène n’est pas nouveau. Au début des années 2000, c’est la polémique sur le THS qui faisait rage. Les études semblaient dire tout et son contraire concernant d’éventuels risques de cancer du sein, plongeant femmes et médecins dans la perplexité. Pour le Dr Hervé Maisonneuve, ancien président de l’Association européenne des rédacteurs scientifiques, « des études contradictoires, il y en a toujours eu et il y en aura toujours. Cela fait partie du cours normal de la science ».
30 000 articles par mois sur Medline
Cependant, d’autres raisons moins respectables expliquent ces errements. Tout d’abord, le rythme des publications s’est nettement accéléré. Aujourd’hui, la banque de données Medline recense par moins de 30 000 articles par mois. Et pourtant, les grandes revues internationales ne publient en moyenne que 7 % des articles qui leur sont soumis. A ces grandes revues, il faut ajouter les archives électroniques à accès libre où les scientifiques peuvent diffuser leurs communications sous forme de pré-publications, mais aussi la presse grand public qui s’empare de plus en plus vite des résultats des études internationales. Le risque de lire des informations discordantes est naturellement accru. Par ailleurs, les grandes revues comme le JAMA, le BMJ et le Lancet « se livrent une vraie concurrence, explique le Dr Maisonneuve qui a appartenu au « board » du Jama. Et plus il y a de la contradiction, mieux c’est pour leur notoriété. »
La concurrence existe aussi entre les chercheurs eux-mêmes. En urologie par exemple, les Français tiennent la dragée haute à leurs homologues américains. Cette saine rivalité peut expliquer que les deux études soient sorties au même moment. Autre source de discordances : la nature même des études. Selon un chercheur du centre belge d’information pharmacothérapeutique, les études contradictoires s’expliquent surtout par le fait que certaines sources d’erreurs, en particulier les biais et les variables confondantes, sont plus difficiles à maîtriser dans des études d’observation. Or, un même sujet fait souvent l’objet d’études randomisées et d’études d’observation.
A contre-courant de la pensée dominante
Ces allers-retours scientifiques ne sont pas sans conséquence. Pour preuve : l’exemple du THS. Sur les deux millions de femmes qui prenaient un traitement hormonal susbtitutif en 2002, 32 % ont arrêté en 2003. Or, en 2007, l’étude française Mission révélait qu’il n’y avait pas de risque plus élevé de cancer du sein chez les femmes suivies par un gynécologue et traitées par un « THS à la française ». Les obstétriciens se souviennent quant à eux de l’étude Hannah qui allait à contre-courant d’autres études. Elle démontrait que la césarienne divisait par 3 ou 4 les décès et pathologies graves du nouveau né qui se présentait par le siège. Six ans après sa parution, l’étude Hannah était retirée pour méthodologie incorrecte. Mais, pour le Pr Damien Subtil, chef du pôle obstétrique du CHRU de Lille, le mal était fait. « Si nous avons aujourd’hui un taux de césariennes un peu trop élevé, c’est en partie à cause de cette étude. Une fois des résultats publiés, il est difficile de revenir en arrière. » « En fait, si des résultats sont à contre-courant de la pensée dominante », les médecins ont du mal à les accepter, analyse le Dr Pierre Durieux, maître de conférence à l’université Paris Descartes.
Se former à la lecture critique d’article
Pour éviter d’être pris dans des turbulences et ne pas se laisser porter par les vents dominants, les médecins ont plusieurs parachutes à leur disposition. Pour le Dr Gentile, ses points de repère peuvent se résumer en trois lettres : HAS et EBM (evidence based medecine). « Dans le cas des études sur le dépistage du cancer de la prostate, je me raccroche aux recommandations de la HAS. Et j’attends la conclusion de ces études, qui ne sont que préliminaires ». La Haute autorité de santé a d’ailleurs immédiatement réagi et fait savoir aux médecins que ces nouveaux résultats devaient être « analysés en détail ». Et que « la politique publique en termes de dépistage s’appuiera sur l’ensemble des contributions », et notamment le futur rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des politiques de santé sur le dépistage individuel du cancer de la prostate.
L’autre bouée à laquelle les médecins peuvent se raccrocher s’appelle la lecture critique d’articles. Or, après quinze années de bataille, cette discipline a enfin fait son entrée officielle dans les facultés. Aux prochaines épreuves classantes nationales (ECN), les étudiants devront, pour la première fois, passer une épreuve de lecture critique. « Nous apprenons aux étudiants à s’intéresser en premier lieu à la méthodologie d’une étude. Or, les médecins ont tendance à se précipiter sur les résultats d’une étude, » explique le Dr Durieux. La nouvelle génération devrait donc savoir lire entre les lignes des études, et trouver de l’harmonie là où les résultats semblent dissonants.