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L'interview du week-end

TCA : "le nombre de personnes qui me consultent pour des troubles alimentaires a doublé"

Par Mathilde Debry

Alors que vient de se tenir la journée mondiale des troubles des conduites alimentaires (TCA), la diététicienne et nutritionniste Corinne Fernandez s'alarme de l'augmentation du nombre de cas au sein de son cabinet parisien, notamment chez les jeunes. 

KatarzynaBialasiewicz / istock.
MOTS-CLÉS :

Pourquoi docteur - Constatez-vous une évolution concernant le nombre vos consultations dédiées aux troubles alimentaires ?

Corinne Fernandez - Oui. Il y a malheureusement une très nette augmentation du nombre de personnes qui me consultent pour des troubles alimentaires. Je dirais que les cas ont doublé.

Depuis quand avez-vous noté cette augmentation ?

Ce phénomène a commencé à prendre de l’ampleur après le premier confinement anti-Covid.

Qui sont les personnes les plus touchées ?

Tous types de personnes peuvent être concernés, même si les troubles alimentaires touchent chez moi plus les femmes autour de 40 ans et les jeunes filles de 12 à 16 ans.

De quels troubles alimentaires souffrent majoritairement vos patients ?

Je vois plus de cas de restrictions caloriques et d’anorexies, mais il y a aussi beaucoup de comportements compulsifs et boulimiques.

Sur la nature des troubles alimentaires, avez-vous là aussi observé une évolution ?

Concernant les jeunes, je n’avais pas autant de cas de tentatives de suicide et de scarifications il y a quelques années. Leur situation se dégrade aussi très vite, beaucoup plus brutalement qu’avant, avec des hospitalisations. C’est inquiétant. 

En revanche, de plus en plus de pères viennent me consulter pour leur enfant, ce qui est une très bonne chose. 

Comment expliquez-vous l’évolution de la nature et du nombre de vos consultations ?

Avec la crise sanitaire et les confinements, beaucoup de facteurs ont pu conduire les Français à perdre pied concernant leur alimentation : l’arrêt de l’activité physique, la moins bonne gestion des repas, le télétravail, l’anxiété, le stress, les burn-out, la perte de confiance en soi, le mal-être dans les couples, les séparations, la prise d’antidépresseurs... Tout cela constitue un cocktail explosif favorisant le développement de troubles alimentaires.

Concernant plus particulièrement les femmes, beaucoup décompensent sur la nourriture à cause de leur charge mentale (gestion des tâches ménagères, des enfants, du travail....), qui a été exacerbée par la crise sanitaire. Et chez les jeunes, les réseaux sociaux comme TikTok et Instagram les conduisent souvent à courir après un physique idéal basé sur des filtres qui n’existe que sur la Toile et ne correspond pas à la réalité corporelle. Même le "body positivisme", qui part d'une bonne intention, est un comportement déviant, centré sur un affichage et un culte du corps. 

Quels signes doivent alerter sur le développement d’un trouble alimentaire ?

Plusieurs signes doivent conduire à réagir :
- l’adoption de comportements compensatoires, qui consistent à éliminer les apports caloriques par la prise de laxatifs, le déclenchement de vomissements, le saut de repas ou encore le sport à outrance.
- Le triage des éléments dans l’assiette sans qu’ils soient consommés.
- L’obsession pour la nourriture, lorsqu’elle travaille du matin au soir.
- Les remarques de l’entourage sur une perte ou une prise de poids (souvent, les personnes qui développent un trouble alimentaire ne se rendent pas compte de leur état).

Que faire si l’on sent que l’on développe un trouble du comportement alimentaire ?

Je conseille d’abord d’en parler à ses proches (famille, amis...), puis de consulter un professionnel de santé : un nutritionniste, un psychologue, un psychiatre ou encore un médecin généraliste.

Et en tant que parents, que faire si on s’inquiète pour son adolescent ?

Les parents sont souvent complètement désemparés face au trouble alimentaire de leur enfant, qui ne leur en parle d’ailleurs pas toujours. Je leur conseille donc d’essayer d’ouvrir le dialogue sur le sujet, et, si ce n’est pas possible, d’en parler avec le médecin de famille, qui les orientera vers les professionnels de santé adéquats. Attention aussi à ne pas oublier les frères et sœurs, qui peuvent souffrir indirectement de la maladie, et à communiquer soi-même sur son vécu, pourquoi pas dans les groupes de parole mis en place à l'hôpital. 

En tant que nutritionniste, que proposez-vous aux personnes qui souffrent de troubles alimentaires ?

Il n’y a pas de recette magique ni de régime particulier, je m’adapte à l'univers de chaque malade, en essayant d'aller dans le sens de la personne et de la comprendre. Concernant l’anorexie par exemple, je travaille beaucoup sur la peur de manger, en expliquant à mes patients pourquoi le corps a besoin de nourriture pour fonctionner.

Je travaille aussi beaucoup en coordination avec les médecins, les psychologues et les psychiatres. C’est fondamental, voire vital. 

Peut-on guérir d’un trouble alimentaire ?

Oui, mais la personne en sera marquée toute sa vie, cela ne s’oublie pas. Il peut y avoir des rechutes, mais pas toujours.