L'Agence de la biomédecine affiche ses ambitions : « Notre taux de greffe de rein à partir de donneur vivant est aujourd’hui de 8 %. Nous voudrions atteindre un taux de 15 à 20 % », déclare le Dr Corinne Antoine, néphrologue à Saint-Louis, et membre de la direction médicale et scientifique de l’Agence de la biomédecine (écouter interview ci-contre). Si l’objectif est clair, le temps pour l’atteindre l’est beaucoup moins. « Je ne sais pas combien d’années il nous faudra », avoue humblement le Dr Antoine.
Il faut dire que le sujet est délicat, comme le prouve l’histoire du Dr R. Néphrologue et victime d’une insuffisance rénale, elle connaît le problème des greffes à partir de donneur vivant mieux que quiconque. Pourtant, même si le médecin et le patient ne font qu’un, ils ne sont pas tout à fait d’accord. La néphrologue clame qu’il « faut tout faire pour encourager le don du vivant » mais la malade reconnaît qu’elle aurait « eu du mal à accepter qu’un proche lui donne un rein. Cela m’aurait beaucoup gênée de me sentir redevable. Quand j’avais une vingtaine d’années, la question de la greffe à partir de donneur vivant s’est d’ailleurs posée. Et à l’époque, ma sœur m’a confié qu’elle était soulagée de ne pas être compatible. Et pourtant, j’ai la sœur la plus généreuse qui soit. »
La question du recours au don du vivant n’est simple pour personne. Ni pour le donneur, ni pour le receveur, ni même pour le médecin. Et ce n’est pas le rapport de l’Académie de médecine, rendu ces derniers jours, qui lève l’ambiguïté. Pour l’Académie, même « si la recherche d’une meilleure adéquation entre le besoin et l’offre d’organes est un impératif indiscutable (…), il convient de tout mettre en œuvre pour réduire la proportion de refus de prélèvement chez les personnes en état de mort encéphalique. » En 2008, sur les 13 687 personnes qui étaient sur une liste d’attente, 4620 ont été greffées et 222 sont mortes.
Des chiffres en baisse depuis deux ans
Cette ambiguïté est sans doute, en partie responsable des chiffres français. Avec un taux de 8 % de greffe du rein à partir de donneur vivant, la France se situe loin derrière les Etats-Unis (40 %), les pays d’Europe du Nord (32 %) ou encore la Grande-Bretagne (25 %). Même sur l’échelle européenne (17 %), la France est à la traîne. Pour le foie et le poumon, les deux autres organes pour lesquels le don du vivant est autorisé, les chiffres sont encore plus faibles parce que le risque vital est nettement plus fort. Quasiment inexistant pour le poumon, il est de 1, 7 % pour le foie.
Et la situation ne s’améliore pas. Les chiffres de l’Agence de biomédecine montrent même un fléchissement depuis deux ans. De 247 greffes de rein à partir de donneur vivant en 2006, nous sommes passés à 222. Pour la greffe de foie, la courbe s’est carrément effondrée, suite au décès d’un donneur en 2007. Malgré l’enjeu, le don du vivant reste marginal en France. Pourquoi ? Les raisons sont multiples.
Tout d’abord, les médecins éprouvent une certaine réserve. « Notre héritage culturel pèse lourd, estime le Pr Christophe Legendre, chef du service de transplantation rénale adulte à l’hôpital Necker. Nos aînés nous ont inculqué qu’il ne fallait pas faire courir un risque à un sujet bien portant ». Le principe « Primum non nocere » résiste même pour la greffe du rein, alors que le risque de mortalité pour le donneur est de 0,03 %.
Les principes éthiques français constituent aussi un frein. Selon Pierre Le Coz, du Comité consultatif national d’éthique, « on accomplit une transgression puisqu’on instrumentalise un corps humain au profit d’un tiers. Quand on vous demande si vous acceptez de donner un rein, et qu’on se retranche derrière votre soit-disant liberté d’initiative… en réalité, on vous met un revolver sur la tempe. C’est une autonomie au rabais. »
Les associations qui militent pour le don d’organe montrent elles aussi des réticences. « Il peut exister des pressions difficilement décelables au sein des familles », a déclaré Marie-Claire Paulet, présidente de France-Adot 49, lors d’une audition devant l’Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques. Pour elle, « le don du vivant doit conserver un caractère très exceptionnel »
Une procédure trop contraignante
Les embûches viennent aussi du « parcours du combattant » que doit accomplir le donneur. Dans son bilan de la loi de bioéthique, l’Agence de biomédecine soulignait que « les équipes de greffe considéraient la procédure trop longue et trop contraignante ». C’est le cas de l’équipe du Pr Eric Rondeau à Tenon : « Les transplantations à partir de donneur vivant représentent 10 à 12 % de notre activité. C’est tellement consommateur de temps que l’on ne peut malheureusement pas faire plus. » Selon l’Agence de biomédecine, il faut un infirmier à temps plein par équipe pour assumer cette tâche.
Enfin, pour le Dr Corinne Antoine, « il ne faut pas oublier qu’environ 75 % des procédures s’interrompent parce que les tests de compatibilité ne sont pas bons ». Et selon elle, certains pays sont moins regardants sur l’état de santé du donneur. Les Etats-Unis ont, par exemple, inventé le concept de « donneur vivant limite », notamment parce que faute de couverture santé, nombre de patients ne peuvent pas se payer de dialyse. « C’est totalement impensable en France. »
Malgré les nombreux obstacles, la France a semble-t-il décidé de rattraper son retard. En 2005, le cercle des donneurs a été élargi. Tout récemment, a été publié un décret garantissant la prise en charge à 100 % des frais pour le donneur. Mais, ce ne sera pas suffisant pour passer de 8 % à 15 % comme le souhaite l’Agence. C’est pourquoi elle a pris le taureau par les cornes il y a deux ans en créant un groupe de travail sur le don du vivant. Sa stratégie : la communication auprès des professionnels. « A la fin de l’année, explique le Dr Antoine, nous allons aller au-devant des centres de dialyse et des néphrologues pour leur apporter des informations concrètes sur l’état de santé des donneurs, sur le devenir des greffes, et sur les recommandations d’experts que nous sommes en train d’élaborer ».
Dans combien de temps cette stratégie portera ses fruits ? Personne ne le sait mais certains médecins, comme le Dr Brigitte Lantz, néphrologue, membre de la Fondation du rein et secrétaire générale de l’association « Don de soi, don de vie » de Marie Berry, comptent aussi sur la communication grand public pour faire avancer la cause. « Après le don de Richard Berry pour sa sœur, nous avons bien vu le nombre de donneurs augmenter. » Depuis, les chiffres sont retombés.