Prenez une brebis vierge. Mettez-la dans un troupeau. Elle ne s’intéresse qu’à elle. Vous lui injectez une seringue d’ocytocine, elle n’a alors de cesse de rassembler les agneaux pour les protéger. Ce miracle est dû à une hormone, l’ocytocine, que les spécialistes du cerveau appellent aussi l’hormone de l’attachement. Elle est surtout sécrétée au moment de l’accouchement, en particulier par le fœtus, qui, par ce mécanisme, prévient qu’il désire sortir : c’est l’enfant qui déclenche l’accouchement et non pas une sorte d’effet de calendrier ou une durée standard. La sécrétion se poursuit tout au long de l’allaitement.
Ocytocine et dopamine, les deux stars du cerveau
On pourrait en déduire que la femme est attachée « chimiquement » à son bébé, contrairement au père, qui ne possède pas les mêmes capacités de sécrétion, expliquant ainsi les différences entre la motivation « biologique » des deux parents. L’excuse est imparfaite, car l’homme possède sa propre production d’ocytocine, certes moins importante que la femme, mais suffisante pour comprendre le phénomène de la durée exceptionnelle de certains couples. Ne cherchez pas le secret des noces de chêne (80 ans de mariage) ailleurs que dans la production régulière de cette hormone, qui n’est pas la résultante d’une quelconque stimulation sexuelle, mais de la tendresse des caresses. L’ocytocine et la dopamine, messagers chimiques de l’envie de sexe, d’argent et de pouvoir, sont les deux stars de notre cerveau.
Mais des hormones surprenantes, il y a en a bien d’autres… Comme les endorphines, substances très proches de la morphine qui atténuent la douleur des sportifs quand l’activité dépasse 60 minutes, ou celle qui fournit le cerveau en cannabis… L’homme est un véritable laboratoire clandestin activé par le circuit de la récompense. Les effets plaisants ou déplaisants de l’amour sont sous contrôle des hormones presque toutes produites par une glande, l’hypothalamus, que l’on surnomme la « caverne aux plaisirs ». La connaissance de notre chimie interne progresse à pas de géant, grâce aux IRM qui permettent de suivre en direct les zones du cerveau qui s’activent. Le jeu de la séduction, le désir, la jalousie, le baiser, le coup de foudre, même l’orgasme, ont leur explication biochimique précise, résultante de la sécrétion de nos 100 milliards de neurones. Des neurotransmetteurs qui apportent les messages aux récepteurs, véritables clefs du plaisir, distribuées sur toute la surface notre cerveau.
L'amour modifie notre organisme
Reste maintenant, au risque de jouer les apprentis sorciers, à aider un peu la nature, en corrigeant les dosages non satisfaisants des trois étapes que nous décrit la chimie : la rencontre réussie, la passion et l’attachement durable.
Une vingtaine d’années de recherches pleines de chiffres, de dosages et de vérifications chez l’animal qui mettent un sérieux coup de pied dans la fourmilière des hypothèses psychiatriques parfois fumeuses et souvent non vérifiées.
Toutefois, les psychiatres doivent-ils systématiquement prendre en charge les gros chagrins d’amour ?
Les techniques d’exploration du cerveau, en particulier l’IRM qui permet de « voir » les émotions sur un écran, ont permis d’établir que l’amour, celui que l’on fait mais aussi celui que l’on éprouve, modifie biologiquement notre organisme : quand on aime, on produit des substances euphorisantes – comme lorsque l’on court sur de longues distances – qui activent le circuit naturel du plaisir et nous donnent envie d’aimer encore et de ressentir encore plus de plaisir. Et c’est précieusement ce dopage de la mécanique naturelle du plaisir qui, dans l’état amoureux comme dans la toxicomanie, peut rendre « accro » : le manque peut alors être vécu comme insupportable. La passion se transforme alors en « addiction », le terme consacré pour exprimer l’état de dépendance.
L’amour peut donc nous doper mais aussi, au même titre qu’une substance toxique, être un facteur de souffrance, voire de dépression.