Sur 12 millions d’élèves en France, on estime entre 1 et 5% le pourcentage d’enfants et adolescents qui souffrent de phobie scolaire, cette angoisse qui survient à la seule perspective d’aller à l’école. Enseignant chercheur en sciences de l’éducation, Alexandre Ployé est le père d’une élève qui a vécu cette anxiété durant sa scolarité. A quatre mains, ils ont écrit Phobie scolaire – La détecter, la combattre, l’apprivoiser, publié en 2021 aux éditions L’Etudiant pratique, pour aider les enfants et leurs familles à sortir de ce trouble anxieux.
Pourquoi Docteur : Comment définir la phobie scolaire ?
Alexandre Ployé : Il n’y a pas de définition médicale stricte. Ce n’est pas une phobie au sens psychiatrique du terme, et elle n’est pas répertoriée par les différents manuels de diagnostic. Les causes sont multiples et les symptômes variés, mais pour résumer, c’est un ensemble de manifestations anxieuses liées au fait d’aller à l’école. Contrairement à la peur classique des enfants de leur premier jour d’école, que les parents arrivent finalement à calmer, c’est une peur qui devient absolument déraisonnable : l’élève est fermé à tout discours rationnel, le scénario qu’il se construit est bien plus violent que ce qu’on peut lui objecter. L’intensité de l’anxiété, voire de l’angoisse ou de la panique, fait qu’il ne peut physiquement pas y aller. Souvent, le problème est que l’enfant n’exprime pas clairement sa phobie de l’école : son corps parle pour lui. Cela peut se manifester notamment les dimanches soirs, au travers de somatisations comme le mal de ventre, l’insomnie, le malaise vagal... Ne pas vouloir se lever le matin est un signal. A terme, cela peut mener jusqu’à la dépression.
Quelle différence avec le décrochage scolaire ?
Le décrochage scolaire est une notion de sociologie, tandis que la phobie scolaire est d’ordre médical, ou du moins psy. Ce sont deux catégories distinctes qu’on mobilise pour des enfants venant de milieux sociaux différents : on va souvent utiliser le terme phobie pour des enfants issus de milieux favorisés, et décrochage pour les milieux plus modestes ou plus difficiles, parce qu’on va mettre les difficultés sur le compte des parents, une carence éducative... Mais souvent cela recouvre une même réalité : une angoisse de l’école.
Quelles sont les causes de la phobie scolaire ?
Il n’y a pas de cause univoque : ce n’est ni complètement l’école, ni totalement la famille, ni seulement la société. Selon les spécialistes du sujet, au moins un enfant sur deux souffrant de phobie scolaire a déjà rencontré une situation de harcèlement à l’école. Mais dès lors, que penser de l’autre moitié, de ces enfants qui n’ont pas vécu de harcèlement ? Cela peut aussi venir de la cellule familiale, avec des attentes trop fortes de la part des parents, des carences relationnelles ou un manque d’investissement scolaire à la maison. On peut également pointer l’incapacité de l’école à s’ajuster aux particularités des enfants : les élèves souffrant de troubles de l’apprentissage ou d’hypersensibilité ont plus de risque de souffrir de phobies scolaires. L’école n’étant pas en mesure de s’adapter à leurs différences, ils s’enfoncent et somatisent.
Les enfants phobiques ont-ils forcément perdu le goût d’apprendre ?
Chez beaucoup d’enfants, la phobie scolaire s’incarne dans des formes d’inhibition intellectuelle, qui laisse entendre qu’ils n’ont plus aucun appétit pour le savoir : perte de la curiosité, dégoût de la lecture, refuge dans les jeux vidéo ou les réseaux sociaux... Le refus de l'école n'est qu'un symptôme d'un comportement beaucoup plus vaste : le retranchement. L’enfant se désinvestit des objets du monde.
Que peuvent faire les parents eux-mêmes ?
Ils peuvent essayer d’instruire le dialogue, en essayant de comprendre les souffrances et les besoins de l’enfant : il est important de ne pas tomber dans un discours moralisateur et injonctif (fais un effort, remue-toi, lève-toi...), afin ne pas culpabiliser l’élève. La première chose dont un élève phobique a besoin, c’est de faire redescendre la pression. Les parents doivent donc se soustraire à la pression sociale autour de l’école, à l’opprobre généralisée de la société, qui voit encore cela comme une preuve de mal-être et de non-intégration.
Quelle question détournée peut-on poser pour déceler une phobie scolaire ?
Il faut bien comprendre que le premier réflexe de l’enfant sera de cacher sa phobie scolaire : il se tait, car il sent honteux. L’élève est taciturne, déprimé, coupe les ponts avec ses proches. Pour détecter une phobie scolaire, il faut donc aborder le problème en l’interrogeant sur ses activités de sociabilisation hors école. Autrement dit, lui poser des questions sur son quotidien, ses amis, ses sorties, ses activités sportives et culturelles... S’il y a du changement à ce niveau-là, ou un malaise évident, il y a peut-être un loup. C’est seulement après avoir entamé ce dialogue qu’on peut évoquer l’école et y déceler des difficultés, voire du harcèlement.
Comment avez-vous réussi, avec votre fille, à sortir de ce trouble anxieux ?
Grâce à un passage dans des institutions spécialisées, des "soins études" qui sont des services à la fois pédo-psychiatriques et de l’Education nationale. Cela assure un double accompagnement, avec une reprise des cours adaptée (sans pression, en petit effectif) et un accompagnement psychiatrique (dont la prise d'antidépresseurs ou d'anxiolytiques), une psychothérapie analytique ou encore des ateliers de médiation. C’est cela qui l’a fait sortir de sa dépression.
Faire l’école à la maison peut-il être une solution, du moins temporaire ?
Cela peut soulager tout le monde, parents comme élève, en faisant renaître chez l’enfant le désir de se réapproprier intellectuellement la matière scolaire. Mais attention, cela peut avoir un effet vicieux en aggravant la désocialisation de l’enfant : le risque est qu’il ne retourne jamais sur les bancs de l’école !
Avoir une phobie scolaire étant jeune est-il annonciateur de phobies sociales à l’âge adulte ?
Il y a en effet des phénomènes de prolongement de la phobie dans le monde du travail : difficultés à se socialiser, timidité excessive, démissions fréquentes... Des mêmes angoisses qui peuvent mener à des mêmes comportements d’évitement, avec des somatisations diverses comme le burn-out. il faut comprendre que les symptômes scolaires peuvent masquer des problèmes plus profonds, raison sans doute de les prendre en charge le plus vite possible.