« A ma consultation de tabacologie, j'ai récemment eu un patient âgé de 7 ans. » Le Dr Patrick Dupont, tabacologue à l'hôpital Paul Brousse de Villejuif, le précise tout de suite : « Je n'en avais encore jamais vu d'aussi jeune. Mais je dois dire que notre file active rajeunit. » Rien d'étonnant à cela. Les jeunes grillent leur première cigarette de plus en plus tôt. En trente ans, nous sommes passés de 18 à 13 ans et demi. En fait, le tabac ne fait pas exception à la règle. On constate un rajeunissement dans tous les comportements à risques.
Ce phénomène inquiète les médecins. Car plus la consommation est précoce, plus elle sera intensive et plus le sevrage sera délicat. Cette préoccupation n'est pas d'ailleurs pas franco-française. Pour preuve, l'Organisation mondiale de la santé a choisi « Une jeunesse sans tabac » pour thème de sa journée mondiale 2008. Et l'OMS souligne que dans le monde, un quart des enfants de moins de dix ans a consommé à fumer.
Malheureusement, ces jeunes fumeurs ne sont pas une proie facile pour les tabacologues. Les politiques de lutte anti-tabac semblent trouver leurs limites avec ce jeune public. La dernière enquête annuelle "Paris sans tabac" réalisée chez les jeunes lycéens et étudiants de la capitale fait même état d'une remontée du tabagisme quotidien. Chez les 12-15 ans, il était tombé à 2% en 2007. Il est passé à 7% un an plus tard. Chez les 16-19 ans, c'est le statu quo. L'enquête Espad publiée dans le Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH) est quant à elle moins inquiétante. Elle met en évidence une diminution de moitié de la consommation quotidienne chez les moins de seize ans entre 1999 et 2007. « En revanche, le noyau dur des gros fumeurs, de plus de dix cigarettes par jour, ne bouge pas », souligne Stanislas Spilka, statisticien à l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies et co-auteur de l'étude Espad.
Une première cigarette inévitable
Si ces enquêtes divergent quelque peu sur les chiffres, elles concourent toutes au même constat : le jeune fumeur passe par les mailles du filet de la lutte anti-tabac. Plusieurs explications à ce phénomène. D'une part, « les adolescents ne sont pas forcément encore dépendants à la nicotine, déclare le Pr Bertrand Dautzenberg. Du coup, ils ont le sentiment qu'ils peuvent arrêter de fumer quand ils le souhaitent. » Le tabagisme est donc rarement évoqué dans les cabinets de médecine générale. « Il faut un événement extérieur, à l'école par exemple, pour que les parents les poussent à consulter, témoigne le Dr Martine Kuperminc-Leber, tabacologue libérale. L'autre obstacle vient de leur âge. « Ce qui caractérise l'homme, et encore plus l'ado, c'est sa curiosité. Autrement dit, il est vain de vouloir empêcher la première cigarette, estime le Pr Robert Molimard, président de la Société française de tabacologie. Un gamin qui n'essaierait pas de fumer, j'hésiterais à l'envoyer chez le psychiatre », ironise-t-il.
Et même quand les pouvoirs publics prennent des mesures drastiques, leur efficacité laisse à désirer. C'est le cas de l'interdiction de vente de tabac aux moins de seize ans, mise en place en septembre 2004. « Cette mesure semble assez mal appliquée », estiment les auteurs de l'étude Espad. Environ 80% des fumeurs quotidiens de 14 ans et plus déclarent avoir acheté au moins une fois du tabac au cours des trente derniers jours. La barrière n'est manifestement pas infranchissable.
Interdire les cigarettes bonbons
Conscient de ces écueils, la ministre de la Santé a annoncé de nouvelles mesures en direction des jeunes à l'occasion de la journée mondiale sans tabac. Roselyne Bachelot veut notamment s'attaquer aux cigarettes sucrées. En octobre prochain, lors de la réunion des ministres de la santé de l'Union européenne, elle souhaite parvenir à une interdiction pure et simple de ce produit. Selon l'enquête de Paris sans tabac, 14% des 12-15 ans les ont déjà testées. Pour le Pr Dautzenberg, « Ces cigarettes agissent comme un produit d'initiation au tabac chez les enfants, tout comme les premix sont un tremplin vers la consommation d'alcool. En plus, leur couleur et leur parfum laissent penser qu'elles sont moins toxiques. Or, il n'en est rien ».
L'Inpes doit quant à lui lancer une campagne de prévention du tabagisme en direction des plus jeunes, en septembre prochain. De son côté, l'OMS plaide pour une méthode plus radicale : une interdiction totale de la publicité, de la promotion et du parrainage. Le lobby du tabac risque de ne pas se laisser faire…