« Les parents n’ont aucune idée de ce que font leurs enfants lorsqu’ils sont en ligne, jusqu’à ce qu’il soit trop tard », affirment des chercheurs américains dans une publication du Journal of Computer-Mediated Communication. Pour en arriver à cette conclusion, l’équipe a interrogé 465 couples parent-enfant sur les dangers perçus et avérés de l’utilisation d’internet par de jeunes adolescents, âgés en moyenne de 12-13 ans.
Si les parents évaluent correctement le risque pour leurs enfants d’être exposé accidentellement ou intentionnellement à des images pornographiques sur internet, ils sous-estiment en revanche les dangers du cyber-harcèlement, c’est à dire les insultes, moqueries ou rumeurs démultipliées par l’usage des outils connectés et des réseaux sociaux. 30% des jeunes interrogés ont confié en avoir été victimes et seuls 10% des parents étaient au courant. La sous-estimation parentale était de la même ampleur lorsqu’il s’agissait pour leur enfant d’avoir été auteur du harcèlement. 15% des ados ont reconnus avoir déjà harcelé quelqu’un via les réseaux sociaux ou les systèmes de messagerie instantanée, moins de 5% des parents en avaient connaissance.
« Pas mon enfant, il est plus malin que les autres »
Les auteurs ont cherché à comprendre, en questionnant parents et enfants sur leur mode de vie et leurs relations, quels facteurs pouvaient expliquer cette sous-estimation du danger par les parents. Le facteur le plus important est la méconnaissance de ce que font leurs enfants sur internet puisqu’ils y naviguent sans surveillance, encore plus lorsque l’adolescent a son propre ordinateur dans sa chambre. De nombreux parents ont également répondu aux chercheurs qu’ils considéraient leur enfant comme plus malin que les autres dans son utilisation d’internet, cette tendance à considérer que les messages d’alerte concernent les enfants des autres mais pas les leurs les amène également à sous-estimer fortement les risques. Les difficultés de communication entre parents et adolescent expliquent aussi pour une part la sous-estimation du cyber-harcèlement par les parents.
Le cyber-harcèlement a un caractère persécutant pour la victime
Les conséquences d’un cyber-harcèlement sont pourtant bien réelles. Le stress ressenti par l’enfant peut se manifester par des maux de tête ou de ventre, on parle de somatisation anxieuse. Des troubles du sommeil et de l’attention peuvent avoir un impact direct sur les résultats scolaires. Et si la situation de harcèlement se poursuit, elle peut plonger le jeune dans un véritable état dépressif. « Les risques du harcèlement pour un enfant vont crescendo avec son âge, explique le pédopsychiatre Marcel Rufo sur le site ministériel consacré au harcèlement à l’école. Un enfant de maternelle qui est moqué parce qu’il est gros ou roux ne va plus vouloir aller à l’école, un enfant de primaire va avoir tendance à se sentir victime responsable et ne pas en parler à ses parents, un ado au collège va manifester de l’agressivité pour son entourage et risque de la retourner contre lui même, par exemple en se scarifiant. »
La particularité du cyber-harcèlement tient à son aspect massif et permanent. Lorsqu’un message d’insultes ou une photo humiliante sont postés sur un réseau social, l’ensemble d’une classe voire d’un collège y a rapidement et durablement accès. Pour la victime, il y a donc un caractère persécutant qui rend le cyber-harcèlement particulièrement douloureux à vivre et peut pousser certains jusqu’au suicide.
Les 12-14 ans sont les plus exposés
En France, une étude menée en 2011 auprès de 18 000 collégiens a révélé que 9% d’entre eux avaient déjà subi un surnom méchant, une humiliation ou une insulte via SMS ou internet. Pour sensibiliser parents et enfants, l’Education nationale et l’association e-Enfance réalisent des interventions dans les collèges et ont notamment mis en place un site d’information sur le harcèlement à l’école et un n°vert anonyme pour la protection des mineurs sur internet. Les cas traités par cette ligne Net Ecoute montrent qu’en France aussi, la tranche des 12-14 ans est la plus exposée. Il s'agit d'adolescentes dans 52% des cas et les profils d'ados plutôt timides, anxieux ou rêveurs sont les plus courants parmi les témoignages de victimes.