"Lorsque j’étais petite, on me prenait pour une fille douillette et maladroite, qui avait toujours mal quelque part. Rester debout me faisait mal, aller à l'école me fatiguait. Je me couchais le soir épuisée de douleurs et je me tordais dans tous les sens. Parfois, je secouais mon poignet alors qu’il était bloqué ou je tirais sur mon orteil alors qu’il était déboîté. Adolescente, j’ai eu une luxation du poignet en applaudissant à un match de handball, une luxation à l'épaule juste en dormant ou une luxation de la mâchoire en mangeant un bout de pain", se souvient Valérie Gisclard, âgée de 54 ans. À cette époque, elle n’avait pas parlé de ses souffrances physiques à ses parents, car elle pensait que "c’était normal". Dès son plus jeune âge, la patiente avait appris à s’adapter et à vivre avec ses nombreuses douleurs pour pouvoir tout faire ou presque comme les autres.
"J’ai fini en fauteuil roulant sans savoir de quelle maladie j’étais atteinte"
Au fil du temps, ses douleurs persistent et s’intensifient. À la fin de la trentaine, la mère de jumeaux ne parvient plus à marcher. Elle est contrainte d’utiliser un fauteuil électrique prescrit par une équipe pluridisciplinaire et de faire plusieurs séjours en rééducation. "Je n’arrivais pas à regarder mes proches et les autres dans les yeux, car j’ai fini en fauteuil roulant sans savoir de quelle maladie j’étais atteinte. Cela avait un impact sur ma vie professionnelle, personnelle, de couple et de maman", confie la quinquagénaire.
Pendant plusieurs années, elle a consulté différents spécialistes. "Certains médecins disaient que je souffrais de la sclérose en plaques, puis un autre jour, c’était une autre pathologie. À 40 ans, le diagnostic définitif est posé. J’ai appris que j’étais atteinte du syndrome d’Ehlers-Danlos de type hypermobile", raconte Valérie Gisclard. Les syndrome d’Ehlers-Danlos sont un groupe de maladies héréditaires du tissu conjonctif affectant directement ou indirectement le collagène, la protéine la plus abondante du corps. Ils se caractérisent par une hyperélasticité de la peau, une hyperlaxité articulaire et une fragilité des tissus de soutien.
Errance diagnostique : "J’étais soulagée, car je savais que je n’étais pas folle"
"Ce diagnostic a été une délivrance. J’étais tellement soulagée, car je savais que je n’étais pas folle. Après avoir mis des mots sur mes maux, j’ai réussi à relever la tête et à soutenir le regard des autres. Et puis, quand on comprend pourquoi on souffre, on a moins mal", déclare la patiente, qui est aujourd’hui présidente de l’Union Nationale des Syndromes d’Ehlers-Danlos (UNSED).
Elle indique que cette annonce a ressoudé sa famille. Cependant, aucun autre membre ne veut vraiment en parler ou savoir s’ils sont atteints de cette pathologie héréditaire. "Mais, on sait qu’il y a une chance sur deux de transmettre la maladie. Elle ne saute pas de générations, elle est systémique", rappelle la quinquagénaire.
Syndrome d’Ehlers-Danlos : "On est élastique, nos articulations se baladent"
Le syndrome d’Ehlers-Danlos de type hypermobile, dont Valérie Gisclard est atteinte depuis sa naissance, se caractérise par des atteintes multi-systémiques, notamment des articulations qui sortent de leur axe et se déboîtent, ce qui peut provoquer des entorses et des luxations sur l'ensemble du corps. "Je souffre sans cesse de douleurs chroniques et d’une fatigue persistante et fluctuante. Ma peau est fine, douce et veloutée et a aussi du mal à cicatriser. Il m’arrive parfois d’avoir des hématomes spontanés, des hernies et des troubles digestifs, comme une constipation chronique par exemple", détaille-t-elle. Autre symptôme de cette affection : un prolapsus. "On est élastique, nos articulations se baladent."
Cependant, la présidente de l’UNSED signale qu’il ne faut pas tout mettre sur le dos du syndrome et que certains signes cliniques doivent alerter le patient. "Mon état s’est dégradé, on pensait que c’était lié au syndrome d’Ehlers-Danlos. Mais, à cause de cela, on a failli passer à côté d’une leucémie. Il ne faut pas tout minimiser, mais il faut comprendre pourquoi on a mal."
"Je vis comme Cléopâtre, calée dans plein de coussins"
Lorsqu’elle sort, Valérie Gisclard utilise son fauteuil électrique et chez elle, elle se sert de ses béquilles pour se déplacer. "À la maison, je vis comme Cléopâtre, calée dans plein de coussins. Je suis sans cesse accompagnée par des aidants, mon mari et deux aides à la personne quelques heures par semaine. J’ai besoin d’eux pour ouvrir une bouteille d’eau ou encore couper ma viande", explique-t-elle.
Pour l’heure, aucun traitement ne permet de guérir du syndrome d’Ehlers-Danlos. "On nous bricole notre quotidien. On dispose d’aides techniques, telles que le fauteuil roulant, des orthèses, le siège de douche, des coussins de positionnement ou pour certains des vêtements compressifs, pour mieux gérer la maladie au quotidien. L’hypnose, l’auto-hypnose, la relaxation, l’éducation thérapeutique peuvent aussi améliorer notre bien-être", spécifie la mère de famille.
La quinquagénaire a bien conscience que cette affection a un impact sur sa vie sociale. "On perd des amis, car on ne peut plus venir aux sorties ou les recevoir à la maison, car on est trop fatiguée et on a moins de choses à leur raconter. Mais, on parvient à se refaire un cercle de nouveaux amis, qui sont touchés bien souvent eux aussi par la maladie ou d’autres pathologies", poursuit-elle.
Désormais, la patiente ne veut pas s’empêcher de profiter pleinement de sa vie. "Il ne faut pas se restreindre, et faire ce que l’on a envie, même si l’on sait que l’on va souffrir et le payer le lendemain. La vie ne s’arrête pas lorsque l’on est atteint des syndromes d’Ehlers-Danlos, c’est à nous de s’adapter au quotidien. Cette maladie est chronique, douloureuse et handicapante, mais il ne faut pas arrêter de vivre par peur d’avoir mal."