Ils vivent en France avec leurs deux parents français, mais n'ont pour tout papier d'identité qu'un passeport étranger, le plus souvent américain ou canadien. Légalement, leur mère génétique n'a aucun droit sur eux, ce qui les expose à une situation critique en cas de divorce ou du décès paternel. Sans compter les tracasseries administratives au quotidien, la crainte de dénonciations…
Parce qu'ils ont été conçus grâce à l'intervention d'une mère porteuse, une pratique interdite sur le sol français depuis les lois bioéthiques de 1994, plusieurs centaines voire plusieurs milliers d'enfants sont dans une sorte de no man's land juridique.
De fait, la prohibition ne résiste pas à la volonté de procréation des couples et à la mondialisation de l'offre. Chaque année, ce sont entre 300 et 400 couples qui se tourneraient ainsi vers des pays tels les Etats-Unis ou le Canada où les gestations pour autrui (GPA) sont une pratique légale. En surfant sur internet, il est aisé de trouver une multitude d' agences et de centres de surrogacy (mères porteuses en anglais) qui ont parfaitement pignon sur rue. Plus rarement, la grossesse de la mère porteuse et l'accouchement se déroulent carrément en France. Ces familles pourraient bientôt sortir de leur semi-clandestinité. L' « intérêt supérieur de l'enfant » est récemment devenu un argument majeur pour régulariser une situation rocambolesque. C'est ainsi ce motif qui a été invoqué en octobre 2007 par la Cour d'appel de Paris pour reconnaître comme parents un couple qui avait eu recours à une mère porteuse aux Etats-Unis (1).
Une évolution des mentalités, selon les associations
Les juges ne sont pas les seuls à évoluer. Ces derniers temps, ce thème agite de nouveau beaucoup la société, les juristes, les scientifiques mais aussi les politiques. Un groupe de travail spécifique sur la GPA a ainsi été constitué au Sénat, présidé par Michèle André (sénatrice du Puy-de-Dôme). Ses conclusions sont attendues vers juin. L'Académie de médecine et le comité d'éthique se sont aussi saisis de la question, et devraient rendre leur avis dans les mois à venir. Parallèlement, des « spécialistes » du dossier GPA sont auditionnés dans le cadre plus général d'un rapport de l'OPECST (Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques) sur « l'évaluation de l'application de la loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique » (2).
Les mentalités sont en train de changer, confirment des associations comme Maia et Clara, qui mènent de longue date un travail de fond sur le sujet de la grossesse pour autrui. « Quand nous avions été auditionnés pour la mission parlementaire d'information sur la famille (publiée en 2006 NDLR), il n'y avait pas eu de vrai débat. Les entretiens étaient rapides, et on connaissait déjà la réponse qu'ils voulaient entendre, raconte Laure Camborieux, présidente de Maia. Aujourd'hui, on nous laisse du temps pour exposer nos arguments, et nous sommes soutenus par des juristes, des médecins… ». Au fil de ses sept années d'existence, cette association qui regroupe 1500 familles avec des problèmes d'infertilité, a élaboré des propositions en vue de la révision des lois bioéthiques, prévue en 2009. « Nous souhaitons un véritable cadre juridique pour la GPA, pas seulement une régularisation des enfants déjà nés», justifie Laure Camborieux.
Dominique Mennesson, président de l'association Clara (et par ailleurs directement concerné par le jugement de la cour d'appel de Paris d'octobre 2007) cite lui un récent sondage commandé par l'Agence de biomédecine selon lequel 53% des Français considèrent que la loi devrait autoriser la pratique de la gestation pour autrui. « Aujourd'hui, les pays qui l'autorisent sont plus nombreux que ceux qui l'interdisent, ajoute Dominique Mennesson. Ce qui est main stream, c'est l'autorisation ».
Des "indications" qui font débat
« La prohibition de principe est malmenée par les faits et le droit », résume maître Béatrice Weiss-Gout. Cette avocate au barreau de Paris s'exprimait lors d'une conférence organisée cette semaine par des juristes et l'Académie de médecine sur le thème –entre autres- de la GPA. Selon elle, le droit français a plusieurs solutions pour s'adapter à la réalité du terrain (voir vidéo ci-contre).
Reste à savoir, si un jour la gestation pour autrui devenait légale en France, quel en serait précisément le cadre, et d'abord qui pourrait en bénéficier. Pour certains, cette possibilité ne devrait être réservée qu'aux femmes fertiles, mais dans l'impossibilité de porter un enfant du fait d'une absence congénitale ou acquise d'utérus. Mais d'autres se demandent pourquoi en exclure les femmes après échecs multiples de FIV ou chez qui la grossesse s'avère trop risquée du fait d'une pathologie médicale (hypertension sévère, cardiopathie…). Les plus audacieux anticipent déjà les demandes non médicales, telles celles de couples homosexuels.
Outre la délicate question de la rémunération ou plutôt de la compensation, le statut des mères porteuses soulève aussi moults débats. Si les études sociologiques et médicales disponibles jusqu'à présent n'ont pas mis en évidence de troubles psychologiques particuliers chez les femmes qui prêtent leur utérus, des médecins présents à la conférence s'interrogent sur les risques médicaux communs à toute grossesse. « Une grossesse, ce n'est pas anodin. Il y a des petits inconvénients, mais aussi parfois de graves complications », avance un praticien d' un centre de procréation médicalement assistée. Et d'ajouter : « Que se passe-t-il si l'enfant naît handicapé ? ». « La maternité n'est pas un événement personnel mais social, renchérit un autre. Il ne faut pas glorifier les mères porteuses par une image d'Epinal qui n'est pas la réalité ». Dans le public, quelqu'un s'inquiète de la professionnalisation des mères porteuses aux Etats-Unis… Les discussions avancent, mais le débat reste vif.
(1) L'avocat général a requis un pourvoi en cassation, prévu en juin 2008
(2) Dont les rapporteurs sont les députés Alain CLAEYS et Jean-Sébastien VIALATTE.