Lors des récentes épidémies, la chauves-souris a souvent été pointée du doigt. En effet, elle est, bien malgré elle, le relai de nombreux virus qui peuvent ensuite être transmis aux humains et ainsi devenir une zoonose : une maladie infectieuse passée des animaux aux humains. Virus Nipah, virus de Marburg, certains coronavirus… beaucoup sont les agents pathogènes qui la choisissent comme hôte privilégié.
Mais alors qu’ils sont capables de provoquer des symptômes parfois sévères quand ils infectent d'autres espèces animales comme les êtres humains, pourquoi restent-ils silencieux dans le corps des chauves-souris ? Pourquoi ces dernières ont-elles le pouvoir de ne jamais tomber malade de ces virus mortels ? Cette question, une équipe française de chercheurs du CNRS, de l’université Claude Bernard Lyon 1 et de l’ENS Lyon a tenté d’y répondre. Les résultats de leur étude ont été publiés le 24 novembre dans la revue Science Advances.
Certains gènes de la chauves-souris lui permettent de ne pas tomber malade
Pour cette étude, les chercheurs ont rassemblé une variété de données provenant de différentes disciplines scientifiques : la virologie, la biologie moléculaire et cellulaire, l’éco-épidémiologie et la génétique. Ils ont analysé l’évolution des gènes chez plusieurs espèces de chauves-souris et ont observé, à l’échelle moléculaire, comment l’organisme de ces mammifères volants s’était adapté au cours des épidémies. Résultat : ce superpouvoir des chauves-souris serait dû à une génétique spéciale.
"La réponse se situe, entre autres, dans le nombre de copies du gène PKR, qui participe à la réponse immunitaire contre les virus, peut-on lire dans le communiqué de presse portant sur l’étude. Alors que la majorité des mammifères ne possèdent qu’une seule copie de ce gène, certaines chauve-souris en ont plusieurs. Autant de copies qui ont permis à l’animal de diversifier son répertoire antiviral, et ainsi de faire face à une diversité de virus." Mais pourquoi, chez les mammifères, il n’y a que les chauves-souris qui possèdent cette particularité ? "Cette caractéristique a été rendue possible grâce aux duplications du gène PKR, et à la ‘sélection naturelle positive’ de ces dernières, au cours de l’évolution de l’animal", précise le communiqué.
Les chauves-souris ont aussi un système immunitaire différent du nôtre
Une autre étude, parue dans la revue Immunity le 8 novembre dernier, ajoute un élément de plus à cette explication. Des scientifiques de la Duke-NUS Medical School se sont penchés sur l’immunité des chauves-souris, en se concentrant sur une espèce en particulier : le petit éonyctère (Eonycteris spelaea) qui vit en Asie du Sud-est.
Dans cette recherche, les scientifiques ont étudié les réponses immunitaires de ces chauves-souris face au virus Melaka qui les utilise comme réservoir naturel. Ce virus provoque une maladie respiratoire bénigne chez l'Homme. Grâce à leurs analyses, ils ont découvert qu'un type de globules blancs, appelés neutrophiles, montrait une expression très élevée d'un gène nommé IDO1. Selon eux, ce gène pourrait jouer un rôle important dans la limitation de l'inflammation après l'infection.
"Nous avons également trouvé des signatures génétiques antivirales marquées dans les globules blancs, appelées monocytes et macrophages alvéolaires, qui, dans un sens, consomment des particules virales et enseignent ensuite aux lymphocytes T comment reconnaître le virus. Cette observation est intéressante car elle montre que les chauves-souris activent clairement une réponse immunitaire suite à une infection malgré peu de symptômes extérieurs ou de pathologie", explique le Dr Feng Zhu, co-auteur de l'étude, dans un communiqué.
Étudier les chauves-souris pourrait nous aider à combattre les infections virales
L'équipe a également identifié une diversité et une abondance inhabituelles de lymphocytes T et de "cellules tueuses naturelles" - du nom de leur capacité à tuer les cellules tumorales et les cellules infectées par un virus - chez cette chauves-souris qui sont largement activées pour répondre à l'infection.
"Nous espérons qu'en comprenant comment les réponses immunitaires des chauves-souris les protègent des infections, nous pourrons trouver des indices qui aideront les humains à mieux combattre les infections virales", déclare le Dr Akshamal Gamage, un autre auteur de l'étude. Son collègue de la Duke-NUS Medical School, Wharton Chan, ajoute : "Et savoir comment mieux combattre les infections virales peut aider au développement de traitements qui nous aideront à ressembler davantage à des chauves-souris, en tombant moins malades et en vieillissant mieux."