Les virus n’ont pas apporté que du malheur à l’humanité. À force de nous infecter depuis des millions d’années, ils ont laissé au cours de notre évolution un héritage génétique conséquent : aujourd’hui, près de 10 % de notre information génétique est en réalité de l’ADN d’origine virale. Nous le devons surtout à une famille de virus, les rétrovirus (dont fait partie le VIH qui cause le Sida) car ils ont un pouvoir spécial : celui de produire de l’ADN à partir de l’ARN contenant leur information génétique, un processus qu’on appelle "rétrotranscription".
Comment l'ADN humain s'est rempli de bouts de gènes de virus
Ces bouts de gènes viraux peuvent ensuite s’introduire dans le génome de la cellule infectée. Et si cette dernière est une cellule germinale (à l’origine des ovules et des spermatozoïdes), la séquence génétique virale est transmise aux futures générations, s’installant définitivement dans le génome des individus issus de cette lignée.
Ce phénomène s’est produit à de très nombreuses reprises dans l’histoire de l’évolution du genre homo, tellement que notre ADN actuel est garni de morceaux de gènes de virus. Et ils sont d’une grande utilité pour nous : cet héritage génétique nous permet d’éviter certaines infections par d’autres virus. C’est ce que révèle une étude, publiée le 27 octobre dernier dans la revue Science.
Une équipe de scientifiques de l’université de Cornell aux États-Unis a analysé le génome humain pour y déceler les reliques génétiques qui viennent des virus. Ils ont retrouvé 1.507 bouts de séquences qui codaient auparavant pour des enveloppes virales, dont une vingtaine se sont intégrés aux gènes humains. Environ la moitié de ces 1.507 gènes s’exprimaient à un moment précis, notamment chez l’embryon humain ou dans des cellules du système immunitaire.
Les embryons sont protégés contre certaines infections grâce aux virus
Ils se sont ensuite concentrés sur un gène en particulier, codant pour la suppressine. Cette protéine d’origine virale est produite dans le placenta et tout le long du développement de l’embryon et du fœtus, selon les auteurs de l’étude. Dans leurs expériences in vitro, ils ont découvert que les cellules qui la produisent sont protégées contre des infections par des rétrovirus. Cette protection disparaissait quand la supprésine était éliminée. Et les cellules qui habituellement ne produisent pas cette protéine obtiennent cette protection dès qu’elles sont forcées à fabriquer de la supprésine.
Le virus qui nous a transmis cette capacité à produire de la supressine serait un rétrovirus présent dans les génomes de tous les grands singes, selon les chercheurs. Il aurait infecté un ancêtre commun de notre lignée, il y a une trentaine de millions d’années. Puisqu’il a été si bien conservé chez toutes ces espèces, il est probable qu’il ait eu un rôle important dans la survie ou la reproduction de ces espèces, ayant conduit à une pression de sélection. Ce qui apporte des points à l’hypothèse des chercheurs selon laquelle il offrirait une protection virale lors du développement embryonnaire, au moment où une infection pourrait avoir des conséquences très graves pour la survie.