"La fibrillation auriculaire (également appelée fibrillation atriale) est le trouble du rythme cardiaque le plus fréquent (au point que les médecins parlent parfois simplement d'arythmie pour désigner une fibrillation auriculaire)", explique l'encyclopédie Vidal. En France, on estime que ce trouble touche quatre personnes sur 1.000, soit environ 250.000 individus. L'incidence de cette maladie augmentant avec l'âge, sa prévalence est en rapide croissance dans l'Hexagone, en lien avec le vieillissement de la population. Sa principale complication ? L'embolie provoquée par une stagnation du sang dans les oreillettes pouvant former des caillots qui sont ensuite transportés dans les artères... au risque de les boucher, notamment pour les plus petites présentes dans le cerveau ! Donc pour réduire les risques d'accident vasculaire cérébral, des médicaments anticoagulants peuvent être prescrits à certains patients. Explications avec le cardiologue Pr Jean-Claude Deharo.
"La fibrillation atriale, c'est finalement un tueur silencieux"
Le traitement anticoagulant a fait de nombreux progrès ces dernières années. Quel est son rapport bénéfice-risque réel sur le long terme dans la fibrillation atriale ?
Il faut avoir à l'esprit le risque d’embolie au cours de la fibrillation atriale. La fibrillation atriale, c'est finalement un tueur silencieux. C'est-à-dire qu'on ne s’en rend pas bien compte. D'ailleurs, les patients eux-mêmes ne ressentent pas toujours leur fibrillation atriale, mais le risque embolique est, lui, un risque certain. Et on sait qu'en l'absence de cardiopathie, le risque embolique de la fibrillation atriale est déjà quatre fois supérieur à celui qu'aurait la population générale. Cela peut monter jusqu'à 18 fois quand il existe une cardiopathie, en particulier valvulaire, très emboligène comme un rétrécissement mitral.
Donc je crois qu'il ne faut absolument pas minimiser ce risque et, si on a finalement peu de certitudes en médecine, là on en a quand même dans le domaine de l'anticoagulation de la fibrillation atriale ! Il y a eu des études très claires qui ont montré, mais vraiment avec une concordance qui ne laisse pas de place pour le doute, que le bénéfice du traitement anticoagulant est énorme : on diminue le surrisque embolique de près de 70 %. Cela signifie qu'on peut dire à un patient qu'on va le ramener quasiment au risque d'accident vasculaire cérébral qu'il aurait en l'absence de fibrillation atriale.
Il n'y a donc aucun doute sur l'intérêt de l'anticoagulation. La difficulté est plutôt d'essayer de positionner ce traitement entre le bénéfice certain dont on vient de parler et les risques qui existent mais qui ne sont pas aussi importants que ce que l'on peut penser.
Comment savoir si le malade a besoin d'un traitement anticoagulant ?
Justement, un certain nombre de situations plongent vos confrères dans de délicats dilemmes, en particulier quand il y a des patients à risque de chute, des traitements associés ou certaines comorbidités. Est ce qu'il y a des situations de FA qui ne justifient pas d'une anticoagulation ? Et qu'est-ce qu'on peut proposer comme solution alternative ?
Alors ça peut paraître un peu binaire comme raisonnement, mais on utilise un score pour savoir si un patient doit être anticoagulé lorsqu'il y a une fibrillation atriale, qu'on appelle le score du CHA2DS2-VASc. C'est un score de comorbidités associé à la fibrillation atriale : insuffisance cardiaque, hypertension artérielle, maladie athéromateuse, etc. On va aussi parler d'antécédents d'accident vasculaire cérébral, de l'âge du patient qui est un élément très important dans le risque embolique, et par exemple, du sexe. On sait que le sexe féminin est un peu plus exposé.
Donc c’est ce score du CHA2DS2-VASc qui nous guide, pour savoir s'il faut anticoaguler une FA. Et puis il est corrélé avec d'autres scores dont celui du risque de saignement, comme le score de HAS-BLED par exemple. Donc c'est toute la difficulté ! Et finalement la ligne de crête sur laquelle on se trouve quand on veut anticoaguler un patient, quand le CHA2DS2-VASc augmente, c'est-à-dire quand finalement le risque d'accident embolique et donc le bénéfice escompté du traitement anticoagulant augmente, le HAS-BLED augmente également parallèlement. Il n'en reste pas moins que globalement, le rapport bénéfice risque du traitement anticoagulant peut être relativement prédit par un certain nombre de variables cliniques, et il y a très peu de situations au cours desquelles on ne va pas devoir anticoaguler un patient. Ces situations sont totalement exceptionnelles.
Je voudrais aussi revenir sur une première chose qui est importante, c'est que ce score du CHA2DS2-VASc, quand il est à zéro, il justifie de ne pas anticoaguler les patients. Et ça, c'est quelque chose qui est important à retenir parce qu'on voit quelquefois des patients qui reçoivent un traitement anticoagulant et n’en ont pas réellement besoin : mais on peut comprendre que ça peut les rassurer. Ça peut rassurer un grand anxieux qui aurait lu je ne sais quoi dans une littérature tout à fait sérieuse parlant du risque embolique de la fibrillation atriale de prendre un traitement anticoagulant. Mais quand on a un score du CHA2DS2-VASc à zéro, on sait que le bénéfice du traitement est quasiment nul, alors que le risque hémorragique du traitement, lui, il existe, et il va donc dépasser le bénéfice dans cette situation. Le ratio n'est donc pas du tout en faveur du traitement anticoagulant.
À partir du moment où on a un score du CHA2DS2-VASc à 1 chez l'homme ou à 2 chez la femme, on commence à avoir un discret excès du bénéfice par rapport au risque. C'est pourquoi les Européens préconisent d'anticoaguler ces patients. Les Américains laissent la place là à une discussion et pensent qu'il n'est pas indispensable de le faire. Mais par contre, à partir du moment où le score du CHA2DS2-VASc atteint 2 chez l'homme ou 3 chez la femme, et bien là l'indication d'anticoagulation est absolue et cette indication d'anticoagulation ne devrait être finalement discutée que dans des cas très particuliers. Notamment si un patient a présenté un saignement, avec un spécialiste d'organe qui nous dit que le risque de nouveaux saignements est extrêmement important et qu'il y a un risque à ce moment-là, vraiment, de continuer sur cette voie. Mais ce sont des situations tout à fait exceptionnelles.
Et donc quand il y a eu un saignement cérébral récent, ou quand il y a effectivement des maladies, avec ou sans trouble de la coagulation, qui risquent d'exposer à un saignement majeur, est-ce qu'on a des moyens prévenir le risque d'AVC de la FA sans donner des anticoagulants ?
Dans des situations très particulières, je me répète un peu, mais il s'agit de situations au cours desquelles un spécialiste d'organes, par exemple un neurologue, nous dirait qu'il y a un risque de nouveaux saignements après un premier saignement ou même de saignements avant qu'il n'y en ait eu un trop important. Et bien dans ces situations-là, on va quelquefois observer une contre-indication formelle à l'anticoagulation. Dans ces cas-là, il existe des alternatives. Aujourd'hui, ce ne sont pas des alternatives aux traitements anticoagulants, ce sont uniquement des alternatives à utiliser quand le traitement est contre indiqué.
Il s'agit des systèmes d’occlusion de l'auricule gauche. Ce sont des systèmes qui sont mis en place par cathéter en cardiologie interventionnelle. Une prothèse qui va occlure l'auricule gauche dont on sait qu'il est le lieu de formation des caillots dans la fibrillation atriale non-valvulaire. Dans la plupart des cas, c'est une technique qui est efficace. La protection est probablement inférieure à celle des anticoagulants. Donc, je le répète, ce n'est pas une alternative. C'est uniquement une technique qui va permettre de minimiser le risque alors que le traitement anticoagulant n'est pas utilisable.
"Le risque embolique de la fibrillation atriale n'est pas lié au statut rythmique du patient"
Je voudrais revenir sur une situation un peu particulière qui est la situation d'un patient qui aurait une indication de traitement anticoagulant et qui à la suite d'un traitement, qu'il soit médicamenteux ou que ce soit un traitement par ablation endocavitaire, ne ressent plus de fibrillation atriale et par conséquent se sent parfaitement guéri. Eh bien ce patient, bien souvent revient nous voir, pour nous dire : « Écoutez, c'est parfait ce que vous m'avez fait. Je ne ressens plus de fibrillation, or je la ressentais, j'étais vraiment capable de savoir à tout moment si j'étais en fibrillation ou si j’étais en rythme normal. Donc j'aimerais qu'on arrête ce traitement anticoagulant ». Et bien là, je mets vraiment en garde contre ce raisonnement, même si c'est un petit peu contre-intuitif. Ce n'est pas parce que le patient ne ressent plus de fibrillation atriale que le traitement doit être arrêté et ce pour deux raisons. La première, c'est que ce n'est pas parce qu'il ne ressent plus de fibrillation qu'il n'en a plus. On sait que la plupart des épisodes sont totalement asymptomatiques. Et la seconde, c'est que le risque embolique de la fibrillation atriale, comme le signale d'ailleurs le score du CHA2DS2-VASc, n'est pas lié au statut rythmique du patient. Il est lié à tout un tas d'autres facteurs qui sont contenus dans le CHA2DS2-VASc, qui n'ont rien à voir avec la fibrillation atriale, et qui sont des comorbidités, comme on l'a dit. Et ces comorbidités, le patient les a toujours, bien entendus. Donc, une ablation réussie ou un traitement médicamenteux qui paraît très efficace ne justifie pas d'interrompre le traitement anticoagulant si le patient a un score du CHA2DS2-VASc qui mérite de le maintenir.
Une autre situation classique est celle du maintien de l’anticoagulation après un choc électrique externe qui a réduit la fibrillation atriale. Qu'est-ce qu’il faut faire avec le traitement anticoagulant ? Est-ce que l’on doit le maintenir ou pas le maintenir ? Eh bien, la réponse est simple : un choc électrique, c’est quatre semaines d'anticoagulation obligatoire, le temps que l'oreillette reprenne une fonction contractile tout à fait satisfaisante. Et ensuite, il va y avoir de nouveau la question du score du CHA2DS2-VASc et du maintien ou non du traitement anticoagulant en fonction du score. Donc c'est un petit peu le même raisonnement qu'après une ablation. Finalement, on n’arrête pas le traitement anticoagulant parce qu'on a remis le patient en rythme sinusal mais en fonction des comorbidités qui témoigne de l’état de l’oreillette gauche.
Anticoagulants : "En aucun cas l'âge du patient ne doit constituer une contre-indication"
Au final quel est votre message pour vos confrères ?
Le message principal que j'aimerais que l'on retienne, c’est que le traitement anticoagulant a un rapport bon bénéfice-risque lorsqu’il est bien utilisé, et cela doit être expliqué aux patients. En aucun cas l'âge officiel du patient ne doit constituer une contre-indication à instaurer un traitement anticoagulant. En aucun cas le fait d'avoir eu un traitement qui paraît très efficace sur la fibrillation atriale ne doit permettre d'arrêter le traitement. Je crois qu'il faut toujours se poser la question du bénéfice du traitement et bien expliquer aux patients que, dans la plupart des cas, le bénéfice excède largement les risques. S'il s'agit de sujets très âgés ou de sujets qui auraient une contre-indication aux traitements anticoagulants en raison d'une insuffisance rénale, eh bien là on va discuter. On va peut-être avoir d'autres solutions à proposer aux patients. Mais c'est une situation qui, dans notre pratique, est quand même relativement rare. Dans la plupart des cas, on peut traiter les patients par anticoagulants, à condition de surveiller un peu plus, s'il existe des facteurs qui font penser qu'il y a un risque de saignements.