Près d’un an avant la décision de la Cour suprême ("Dobbs contre Jackson") rendue en juin 2022 annulant le droit à l'avortement aux États-Unis, une équipe interdisciplinaire de l'université de Pennsylvanie et du Children's Hospital of Philadelphia (CHOP) a commencé à étudier le lien entre avortement et suicide.
Alors que les discussions sur l'accès aux soins de reproduction ont pris une urgence renouvelée depuis, les résultats de leurs travaux ont été publiés ce 28 décembre dans JAMA Psychiatry. Ils montrent qu'aux États-Unis, la restriction de l'accès à l'avortement est liée à risque accru de suicide chez les femmes en âge de procréer.
Femmes : les lois anti-avortement liées à une hausse du taux de suicide
Pour obtenir ces résultats, les chercheurs ont utilisé des données nationales sur une période de 42 ans (de 1974 à 2016), en couvrant l'ensemble de la population de femmes adultes pendant cette période. Ensuite, chez les femmes en âge de procréer, ils ont analysé les taux de suicide avant et après l'entrée en vigueur de lois restrictives en matière de reproduction, comparant ces chiffres aux tendances générales du suicide et à ces taux dans des endroits où il n'y a pas de telles restrictions. "Comparativement, les femmes qui ont subi le choc de ce type de législation restrictive ont connu une augmentation significative du taux de suicide", explique Jonathan Zandberg, co-auteur de l’étude, dans un communiqué.
Ensuite, les chercheurs ont examiné si la découverte était spécifique aux femmes en âge de procréer ou pouvait être observée dans d'autres populations. À titre de comparaison, ils ont effectué la même analyse pour toutes les femmes de 45 à 64 ans et n'ont observé aucun lien. Enfin, ils ont examiné une autre cause fréquente de décès, les taux de mortalité liés aux véhicules à moteur, et n'ont également constaté aucun effet.
Avortement : de meilleures politiques de prévention du suicide nécessaires
Cependant, plusieurs limites demeurent à ces conclusions qui empêchent d’établir un lien de cause à effet entièrement sûr, notamment le fait que les chercheurs n'avaient pas accès aux données sur les expériences ou sur la santé mentale des femmes individuellement.
Pourtant, même avec ces limites, les chercheurs affirment que les résultats ont de nombreuses implications cliniques, politiques et éthiques. D'une part, reconnaître ce lien peut changer la façon dont les médecins et les autres fournisseurs de soins de santé abordent la classification du risque de suicide chez les femmes en âge de procréer. Au-delà de cela, pour les auteurs de l'étude, cela met en lumière la nécessité de meilleures politiques de prévention du suicide et ajoute des données concrètes au débat éthique sur l'accès à l'avortement.
L’équipe de chercheurs souligne notamment qu'il est important d'avoir un aperçu des tendances actuelles pour planifier des scénarios futurs dans lesquels des restrictions partielles se transformeraient en restrictions à part entière ou même en criminalisation de l'avortement, que ce soit aux États-Unis, en Europe ou ailleurs.