Que se passe t-il dans nos têtes. La question hante les scientifiques qui, tous les ans, à l'occasion de la Semaine du Cerveau (10-16 mars), croisent leurs données et leurs recherches. Ce rendez-vous est l'occasion de mesurer les progrès accomplis dans les neurosciences. L'imagerie cérébrale fonctionnelle (ICF) a permis, par exemple, de livrer en quelques années, des informations sur le cerveau en activité. ll devient ainsi possible d'observer des troubles du fonctionnement cérébral et de comprendre, par exemple, ce qui se passe dans le cerveau d'un dyslexique.
L'ICF n'apporte pas nécessairement de révélations sur la dyslexie. En revanche, elle permet d'obtenir des corrélats cérébraux sur ce que la psychologie expérimentale a déjà permis de comprendre. « On a aujourd'hui acquis un certain nombre de connaissances sur le développement du cerveau. L'imagerie peut apporter des réponses si on explore une hypothèse en particulier, pour l'instant sur un procédé surtout descriptif », explique Franck Ramus, directeur de recherche au Laboratoire de sciences cognitives et psycholinguistique de l'Ecole normale supérieure. « Dans la dyslexie, par exemple, on a observé que certaines zones du cerveau gauche ne sont pas activées de la même façon que dans un cerveau non dyslexique ».
La dyslexie se caractérise par la difficulté à faire correspondre les graphèmes (lettres et groupes de lettres) avec les phonèmes (sons de la parole). Les régions concernées par une modification d'activité correspondent bien à ces observations puisqu'elles se trouvent dans le lobe occipito-temporal, par lequel entre l'information visuelle, le lobe temporo-pariétal, qui permet d'accéder au lexique et le lobe frontal qui permet la prononciation du mot. L'imagerie cérébrale fonctionnelle a également permis d'observer que, chez certains dyslexiques, les zones homologues du cerveau droit étaient suractivées pendant la lecture, comme pour compenser les défauts du cerveau gauche.
Quatre gènes associés
« Pour comprendre ces données, il a ensuite fallu s'interroger sur ce qui est fondamentalement différent dans le cerveau d'un dyslexique, sur ce qui s'est passé de façon différente au moment de son développement », rappelle Franck Ramus. La grande avancée, aujourd'hui, est d'avoir pu remonter au niveau génétique pour les apprentissages cognitifs et d'avoir retrouvé quatre gènes associés à la dyslexie, dont on sait désormais qu'ils sont impliqués dans la migration neuronale. La génétique vient ici confirmer des hypothèses établies par l'imagerie cérébrale puisque les images révèlent des concentrations de neurones inhabituelles dans le cerveau gauche des dyslexiques, qui correspondent en fait à des neurones qui n'ont pas migré de façon normale (voir ci-contre).
L'imagerie cérébrale permet désormais de confirmer les effet ssur le cerveau de nombreuses méthodes de rééducation des dyslexiques. Il est ainsi possible d'améliorer la situation des enfants dyslexiques et de leur apprendre à lire en jouant sur la plasticité naturelle du cerveau. Plus simplement, si on leur fournit une rééducation efficace comme une bonne rééducation orthophonique, les chercheurs ont pu observer que les zones non activées du cerveau se remettent à fonctionner. « Des études d'imagerie montrent que les normalisations sont peut-être liées à un certain type de rééducation », indique Franck Ramus. « De nouvelles études pourraient également permettre de déterminer des sous-types de dyslexie et quels types de thérapie pourraient donner les meilleurs résultats ».
Evaluer l'apprentissage
A l'heure actuelle, les neurosciences ont permis d'apporter un ensemble de réponses sur l'origine de la dyslexie et la façon dont elle se manifeste. Les neuroscientifiques peuvent donc désormais proposer des approches de rééducation et d'apprentissage fondées sur ces connaissances mais il est difficile de transférer ces informations jusqu'aux équipes pédagogiques. L'expertise collective de l'Inserm sur les troubles de l'apprentissage, publiée début 2007, met en évidence le consensus actuel des scientifiques sur cette pathologie mais établit en effet que le dépistage, le diagnostic et la prise en charge pourraient bénéficier d'un rapprochement entre neuroscientifiques, équipes de prise en charge des troubles de l'apprentissage et équipes pédagogiques.
« Mieux on connaît le cerveau et plus on va pouvoir, par exemple, suggérer des méthodes pour un meilleur apprentissage. Ces méthodes devront être évaluées, de manière scientifique, avant de pouvoir être recommandées et diffusées», précise Franck Ramus. En France, aucune méthode d'apprentissage n'a jamais été évaluée de manière rigoureuse, avec des groupes contrôles. Pour le chercheur, la difficulté principale repose sur le fait que les spécialistes en pédagogie n'ont pas la culture scientifique qui leur permettrait d'utiliser les données des neurosciences pour concevoir de nouvelles méthodes mais également pour les évaluer.
L'évaluation se fait donc de façon empirique. « Il manque vraiment un maillon de la chaîne et aujourd'hui, j'essaye au moins de sensibiliser le monde enseignant sur ce qu'il est possible de faire, à leur niveau, car les méthodes dont ils disposent ne tiennent pas compte des nouvelles données cérébrales. S'il était possible, déjà, de s'assurer que les enseignants utilisent une méthode parmi celles qui sont correctes, on pourrait réduire le nombre d'enfants qui développent une dyslexie », insiste Franck Ramus. Et, pour préparer les méthodes du futur, il envisage par ailleurs de former des étudiants en thèse qui auraient ce double regard sur les neurosciences et la pédagogie.