La Cour d'appel du tribunal de Versailles vient de rendre une décision dont l'assurance maladie se serait bien passée. Elle a autorisé en octobre une Française qui réclame depuis 1999 l'autorisation de se soigner en Allemagne et être remboursée. Cette personne, âgée de 44 ans, souffre d'une maladie coeiiaque, diagnostiquée en 1986. Les douleurs violentes et chroniques inhérentes à cette pathologie l'ont conduite auprès de plusieurs services de prise en charge de la douleur. Malheureusement, aucun traitement n'a été efficace. De congés maladies, en crises aiguës, son calvaire continue. A tel point qu'un syndrome néphrotique sévère a nécessité un suivi psychiatrique avec hospitalisation à plusieurs reprises.
Ces échecs l'ont poussé à voir ce qui se pratiquait hors de nos frontières. Et par le biais des médias, elle apprend en 1999 l'existence d'un centre de traitement de la douleur en Allemagne, susceptible de lui prodiguer des soins appropriés. La patiente a aussitôt réclamé l'autorisation auprès de sa caisse primaire d'assurance maladie (CPAM). En effet, pour être remboursé de soins dispensés à l'étranger, une autorisation préalable de l'assurance maladie est nécessaire. Mais la CPAM a refusé au prétexte que des services de prise en charge de la douleur existent en France. Un refus qui n'est pas isolé puisqu'entre 2002 et 2006 en France, 43% des demandes pour des soins dans l'Union européenne n'ont pas été acceptées. Ce taux élevé tient en particulier à de nombreuses demandes pour des actes de procréation médicalement assistée non conformes à la réglementation française.
La patiente n'a pas baissé les bras, après maints recours devant des institutions françaises, elle a fait appel à la Cour de justice des communautés européennes. Cette autorisation préalable réclamée par l'Assurance maladie n'entre-t-elle pas en contradiction avec les principes de liberté qui fondent l'Union européenne (liberté de circulation, liberté des services) ? « Sans pour autant remettre en cause cette autorisation, la Cour européenne a répondu le 23 octobre 2003, qu'on ne pouvait pas refuser de rembourser des soins identiques ou présentant le même degré d'efficacité pour le patient », explique Corinne Daver, avocate de la plaignante, spécialisée dans les questions de santé au cabinet Fidal. Avec cette jurisprudence, la Cour d'appel de Versailles a donc cassé le refus de la Caisse primaire d'assurance maladie. Cette dame pourra aller en Allemagne et être remboursée des soins sur la base des tarifs appliqués en France. En outre, elle recevra des dommages et intérêts de la CPAM.
Cet exemple montre que l'Europe de la santé ne se limite plus aux formulaires E111, un papier remplacé depuis 2006 par la carte européenne d'assurance maladie (valable dans 31 pays, les Etats membres de l'Union plus la Suisse, l'Islande et la Norvège), délivrée à 4,2 millions d'exemplaires en France en 2005.
Même si la coordination des systèmes de Sécurité sociale des Etats membres est établie sur deux réglements datant des années 70 (1), cette affaire illustre aussi que l'Europe de la santé se fait surtout à l'initiative de ses citoyens et de ses professionnels de santé. Si c'est une première en France, des précédents ont déjà eu lieu au Luxembourg et aux Pays-Bas. Les arrêts Kohll et Decker en 1998 pris par la Cour de justice des communautés européennes ont déjà brisé le monopole de la Sécurité sociale, en instaurant pour la première fois le principe de la liberté de circulation des biens et des prestations de services de santé au sein de l'Union. M. Decker, Luxembourgeois, a été remboursé pour des lunettes qu'il avait acheté à un opticien belge. En juillet 2001, la Cour de justice va encore plus loin avec les arrêts Smits-Peerbooms et Vanbrackel qui concernent le remboursement de prestations hospitalières. Mme Smits-Garets, Néerlandaise, demandait le remboursement à sa caisse d'assurance de frais engagé en Allemagne pour le traitement de la maladie de Parkinson, qu'elle estimait ne pouvoir obtenir au Pays-Bas.
Ces cas restent des exceptions. Un sondage, réalisé par l'institut CSA, montre que 40% des Français sont prêts à chercher à l'étranger « une technique médicale supérieure et pas disponible dans leur pays ». La Commission européenne estime que les soins délivrés hors de leur pays d'assurance correspondent à seulement 1% de l'ensemble des dépenses publiques de santé. Ces estimations restent naturellement à appréhender avec précaution compte tenu de la faiblesse de l'appareil statistique.
Mais pour ceux qui résident dans des départements frontaliers, ce n'est pas anecdotique. Il existe des coopérations transfrontalières. Premier exemple en Cerdagne, cas particulier d'une vallée isolée à cheval sur la frontière franco-espagnole, bassin de population de 28 000 habitants à plus de 100 km de Perpignan par le col de Perxa et à 140 km de Barcelone par le tunnel du Cadi. La Cerdagne française ne dispose pas d'hôpital, et côté espagnol, il existe celui de Puigicerda. Un accord entre les caisses françaises et l'hôpital de Puigicerda permet aux Français d'être remboursés des soins prodigués dans cet hôpital. Et depuis avril 2002, les hôpitaux de Saint-Jean-de-Perpignan et celui de Puigicerda ont signé une convention de collaboration. Même type d'exemple à la frontière franco-italienne.
La France attire les patients étrangers
De même, est-ce qu'un Alsacien peut choisir comme médecin traitant un médecin allemand, ou un Lillois un médecin belge ? Une circulaire du ministère de la Santé l'autorise depuis mai 2005. « Du fait de la libre prestation de services en Union européenne, le choix de désigner un médecin traitant établi hors de France est laissé aux assurés français ». A condition que le médecin en question exerce légalement et qu'il accepte. A la Caisse nationale d'assurance maladie, on reconnaît qu'une poignée d'assurés français ont choisi un médecin européen. Mais leur recensement tenu par les CPAM n'est pas encore remonté jusqu'à la Caisse nationale...
C'est encore le flou pour évaluer le nombre de soins réalisés à l'étranger remboursés par l'assurance maladie. Entre la CNAM, le ministère et le Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale (CLEISS), on se renvoit la comptabilité… D'après le CLEISS, en 2005, les remboursements de soins ont représenté 250 millions d'euros pour les ressortissants affiliés aux régimes français de sécurité sociale qui ont été soignés dans d'autres Etats membres. De son côté, la CNAM explique avoir remboursé 590 000 factures pour des soins prodigués à des assurés français dans le monde en 2006, ce qui représente un montant global de 42 millions d'euros. Mais la distinction n'est pas faite entre les soins consommés lors d'un séjour touristique, pour des Français résidents à l'étranger, ou pour des Français qui sont partis expréssement se soigner dans l'Union européenne. Pour la CNAM, cette somme reste minime comparée au montant global des soins et des produits remboursés en France. Certes, mais certains prédisent une progression de la demande. Pour Christian Saout, président d'un collectif d'associations d'usagers, « avec la pression économique sur les ménages, la tentation d'aller se soigner ailleurs pour un moindre coût va augmenter, notamment chez les nouveaux pays membres de l'Union… Cette tentation peut être d'autant plus grande que dans certains cas, le rapport qualité-prix n'est pas clairement affiché en France. »
Cependant, la circulation des patients ne se fera pas uniquement de la France vers les autres pays. Comme le relevait le sénateur Roland Ries dans un rapport en 2007, « la France importe plus de patients étrangers qu'elle n'exporte de patients français ». Ce sont ainsi 518 000 personnes relevant de caisses de Sécurité sociale d'autres Etats membres qui ont été soignées en France en 2005. On se souvient que les Anglais ont été attirés par les services réalisés par les hôpitaux français, notamment au CHRU de Lille. « L'expérience lilloise d'accueil de patients britanniques à cet égard était intéressante mais elle a échoué.Car la technocratique Agence régionale de l'hospitalisation n'a pas voulu donner une autorisation supplémentaire de lits pour cette activité condamnant ainsi cette initiative innovante », a souligné le chirugien Jacques Meurette, ex-président de l'Union des chirurgiens de France, lors d'un colloque sur la mondialisation et la santé en 2006. Et le chirurgien Guy Vallancien remarquait que « des pays comme l'Inde, la Malaisie, la Tunisie deviennent des concurrents sérieux des meilleurs centres américains et européens pour un prix trois à quatre fois moins élevé. Leurs élites ont été formées en occident et retournent dans leur pays avec une volonté d'excellence chirurgicale ».
(1) Règlement n°1408/71 relatif à l'application des régimes de Sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, et le règlement n°574/72 fixant les modalités d'application.