En bas de l'écran d'échographie, une petite main s'agite. Un deuxième foetus est visible à l'autre extrémité du moniteur. Le Pr Yves Ville, lui, est surtout concentré sur la position de l'aiguille qu'il vient d'introduire à travers l'abdomen de sa patiente. C'est par ce trocard de 3 millimètres de diamètre que le spécialiste va effectuer l'intervention. Objectif : coaguler au laser des anastomoses anormales en surface du placenta, responsables du syndrome transfuseur-transfusé (STT) dont souffrent les jumeaux de cette jeune femme. Celle-ci, à 24 semaines d'aménorrhée, avait été admise la veille en urgence à l'hôpital intercommunal de Poissy (Yvelines), centre de référence national pour la prise en charge du STT. Quarante minutes plus tard, le Pr Ville, assisté du Dr Bernard Nasr, a neutralisé neuf anastomoses au laser, sous contrôle vidéo. L'intervention, effectuée sous anesthésie locale, s'est terminée par le drainage de plus de deux litres de liquide amniotique.
Complication rare mais gravissime des grossesses gémellaires monochoriales (200 à 250 cas sont recensés chaque année en France), le STT est dû à des communications vasculaires anormales, le plus souvent artério-veineuses, à la surface du placenta. Concrètement, tout se passe comme si un foetus transfusait l'autre. La femme est alertée par un excès de prise de poids, au deuxième trimestre de la grossesse. L'échographie confirme le diagnostic, avec un hydramnios du côté du jumeau transfusé -qui peut aussi souffrir d'une surcharge cardiaque, et un oligoamnios côté transfuseur.
«Le premier nage dans une piscine olympique, il a des oedèmes. Le second est comme dans un bas nylon, collé à sa poche, n'ayant plus de liquide amniotique… » traduit Valérie, une jeune femme qui a livré un témoignage émouvant à propos de ce syndrome sur son blog.
Spontanément, le pronostic est catastrophique. Le STT est mortel dans 90% des cas, et laisse aux rares survivants de lourdes séquelles, en particulier neurologiques. Avant l'arrivée du laser, le traitement de référence était uniquement symptomatique, par des drainages amniotiques itératifs. Cette stratégie thérapeutique a permis d'augmenter la survie à 50%, sans régler le problème de la très grande prématurité de ces enfants, précise Yves Ville.
Le label maladie rare pour le STT
C'est en 1990, en plein boom de la chirurgie in utero qu'une équipe américaine de Salt Lake City a publié les premières tentatives de traitement du STT par laser, chez trois patientes. Après laparotomie et hystérotomie, le laser avait été introduit dans l'utérus, pour permettre une coagulation des anomalies vasculaires au laser YAG. Au final, quatre des six premiers enfants opérés étaient nés très prématurément, mais avaient survécu.
Deux ans plus tard, l'équipe d'Yves Ville, en collaboration avec des médecins londoniens, a, elle, réalisé l'intervention par voie endoscopique. Moins invasive, cette technique s'est progressivement imposée. Elle obtient aujourd'hui un taux de survie de 85%, avec un accouchement en moyenne à 34 semaines. Une fausse couche complique 10% des interventions, un taux qui pourrait diminuer dans les années à venir, espère l'équipe de Poissy.
Quinze ans après les premières tentatives, Yves Ville a désormais près de 800 interventions par laser in utero à son actif, en grande majorité pour un syndrome transfuseur-transfusé, plus rarement pour d'autres anomalies placentaires. Son service accueille des femmes de toute la France, et même d'autres pays d'Europe.
« Le STT vient d'obtenir le label maladie rare, ce qui nous permet d'avoir plus de moyens, notamment pour informer sur cette pathologie », se réjouit le gynéco-obstétricien. De fait, comme le confirme Paul Jabert, vice-président de la fédération « Jumeaux et plus », le syndrome transfuseur-transfusé reste méconnu, y compris chez les médecins.
Alarmées par une prise de poids importante, les femmes enceintes de jumeaux sont parfois rassurées à tort par leur médecin, et c'est alors via des forums sur l'internet ou des associations type « Jumeaux et plus » qu'elles découvrent leur pathologie.
Une surveillance systématique plus rapprochée (tous les quinze jours) des grossesses gémellaires monochoriales devrait permettre une prise en charge plus précoce du STT, selon les spécialistes. Des centres de compétence (plus ou moins calqués sur les centres de diagnostic prénatal) ont été mis en place pour mieux mailler le territoire. Par ailleurs, en plus de Poissy, quelques centres (Clermont-Ferrand, Strasbourg et Marseille) commencent à proposer ces traitements par laser in utero.
D'autres devraient ouvrir d'ici à fin 2008. Dans les 5 à 10 ans à venir, quand le taux de fausses couches aura diminué, ces thérapies pourront être proposées plus largement, pour séparer préventivement les jumeaux à haut risque, prédit le Pr Ville.