Pourquoi docteur : On connaît l’importance de pratiquer une activité physique pour la santé, et notamment pour réduire les risques de cancers et d’autres pathologies, mais comment peut-elle aider une personne qui souffre déjà d’un cancer ?
Dr Emmanuel Ricard : Il y a des bienfaits à différents niveaux. D’abord, le fait de pratiquer une activité physique aide à lutter contre la fatigabilité. Cela est bénéfique pour le malade car si vous avez une moindre fatigabilité, vous supportez mieux votre traitement que ce soit de la chimiothérapie, de la radiothérapie ou lors des suites chirurgicales. Autre point positif : l’activité physique améliore la capacité d’autonomie et donc la capacité du patient à gérer les soins pendant et après le traitement. Et puis en post-traitement, l’activité physique a un effet bénéfique sur le moral, notamment lorsque l’on partage une activité avec d’autres personnes car cela diminue le sentiment d’isolement.
Au-delà de ces premiers bienfaits, il faut savoir que l’activité physique agit aussi sur la capacité de l’organisme à produire des cytokines, qui sont des éléments du système immunitaire aidant le corps à se débarrasser des cellules cancéreuses. Elle agit également sur les mécanismes hormonaux avec une régulation de la production de cortisol et d’insuline, ce qui va avoir une incidence à la fois sur la gestion du traitement et sur celle du corps pour éliminer le cancer et les récidives.
Enfin, elle permet de lutter contre les facteurs de risque car bouger contribue à mobiliser la graisse et le sucre, qui sont des éléments généralement utilisés par les cellules cancéreuses pour se développer.
Tout cela est bien documenté sur trois cancers en particulier : celui du sein, le cancer colorectal et le cancer de l'endomètre. On pense que c’est efficace sur les autres cancers également, mais on attend de compléter le tout avec d’autres études.
La sédentarité est un facteur de risque de cancer
Une personne souffrant d’un cancer qui ne faisait aucune activité sportive avant devrait-elle privilégier un type d’activité en particulier ?
Il faut commencer par distinguer deux choses : l'inactivité physique et la sédentarité. Quand on se retrouve avec un cancer, on se dit que les journées sont longues, difficiles, fatigantes… et donc qu’il vaut mieux se reposer. Mais c’est tout l’inverse qu’il faut faire car la sédentarité (c’est-à-dire le fait de rester longtemps assis ou allongé, soit plus de 6 heures par jour) est un facteur de risque en soi, autant avant, que pendant, et après le cancer. On a d’ailleurs des études qui sont clairement établies sur ce sujet, et en particulier sur le traitement du cancer du côlon et de l’endomètre. C’est donc nos modes de vie qu’il faut revoir, car on passe de plus en plus de temps assis au bureau, assis dans les transports en commun, assis devant les écrans, on fait de moins en moins de loisirs en extérieur, etc. Pour casser cette dynamique de relâchement musculaire qu'il y a avec la posture assise ou allongée, on conseille notamment d’essayer de rester le plus possible debout dans les activités quotidiennes et de bouger au moins toutes les heures. Et c’est important car l’activité physique modérée, celle conseillée, ne rattrape pas complètement les méfaits de la sédentarité.
Il faut donc retenir que toute activité physique est bonne, car en général, quand on parle d’activité physique, les personnes pensent au sport. Mais faire un déménagement, du jardinage ou bien les courses, sont des choses qui participent à l’activité physique car elles entraînent une mobilisation musculaire qui permet une dépense d'énergie. Cela a deux intérêts : éviter la prise d'embonpoint, l’obésité ; et développer et maintenir une masse musculaire. Après on peut essayer de jouer sur certaines qualités comme l'endurance (intéressant au niveau cardiaque), la force, la résistance et la capacité d’équilibre. Cette dernière est parfois oubliée mais est très importante car on la perd en vieillissant, ce qui entraîne une restriction à l’autonomie.
L’activité physique doit “faire partie du panier de soins proposé au malade pendant et après”
Concrètement, qu’est-il recommandé ?
On recommande de faire au moins 30 minutes de marche par jour, 5 fois par semaine. Si possible une marche rapide, mais il faut faire à son rythme en se disant que le plus est toujours le mieux. On peut aussi essayer de l’étaler sur la journée si c’est difficile de trouver un moment dans l’emploi du temps. L’activité sportive doit ensuite s’ajouter à cela. Avec le cancer, cette activité doit se faire sur prescription médicale car le médecin doit vérifier qu’il n'y a pas de contre-indication. En fonction de l’approbation donnée, il faut s’orienter vers tel ou tel type de sport. Ça peut être le karaté avec des rythmes doux sans contact, l’escrime qui permet la mobilisation du bras et des jambes, le rugby à 5 où il n’y a pas de contact de façon à ce qu’il n’y ait pas de mise en danger, le canoë, l’aviron, la natation, la randonnée, etc. Ensuite, si la personne repart d’un niveau de base, il faut être vigilant avec l’idée qu’on avait certaines performances avant et qu’on peut les rétablir rapidement, car on risque des déchirures musculaires, des problèmes cardiaques, etc. Enfin, il y a des choses particulières à prendre en compte, comme des zones de vulnérabilité ou de fragilité dues à l’intervention médicale. Par exemple, dans le cas du cancer du sein, un bras peut être plus fragile que l’autre. Il faut donc y prêter attention et mettre en place des exercices progressifs.
Plusieurs hôpitaux proposent aussi des “thérapies sportives” aux personnes atteintes d’un cancer…
On essaie de développer ça, oui, car l’activité physique adaptée intègre les soins de support reconnus et doit donc absolument faire partie du panier de soins proposé au malade pendant et après le cancer. C’est donc vraiment important que le médecin vous le propose ! Et si ce n'est pas fait, vous pouvez prendre contact avec la Ligue nationale contre le cancer pour le mettre en place.
Et après le cancer, comment le sport peut aider la personne à récupérer ?
Une fois que la personne va mieux, il ne faut pas arrêter les activités physiques car elles prolongent l’espérance de vie en bonne santé et diminuent le risque de récidives. Sortir avec des amis, aller danser, visiter des musées, voyager, etc, sont autant de possibilités de bouger activement !