Pour faire connaître ses activités et récolter des fonds, Médecins Sans Frontières (MSF) investit ce mardi la place de la République à Paris, la place Bellecour à Lyon et le Vieux-Port à Marseille. Des soignants de retour de mission, des tentes, des lits d’urgence et des centaines de bénévoles allongés, l’objectif est de symboliser les 8 millions de patients pris en charge par MSF dans plus de 80 pays. En Syrie, au Soudan, en Afghanistan ou encore aux Philippines,où l'ONG vient d'envoyer 2 avions cargos et une trentaine d'humanitaires, les Médecins Sans Frontières sont aujourd’hui au plus près des populations victimes de conflits armés, d’épidémies et de catastrophes naturelles.
Une médecine d’urgence de plus en plus pointue
« Par cette immersion au cœur de l’action de MSF sur le terrain, nous voulons convaincre de nouveaux donateurs de nous donner les moyens de poursuivre », explique le Dr Michel Janssens, directeur de la communication de MSF France. Le site internet de la campagne Tous avec MSF, lancée ce 12 novembre, met lui aussi en avant ces médecins acteurs de terrain. Quatre portraits permettent de plonger en images dans le quotidien de Pierre, pédiatre en République centrafricaine, Alexandre, médecin en Haïti, Thierry, anesthésiste au Pakistan et Adrien, chirurgien dans un camp de réfugiés syriens. De quoi aller plus loin que le cliché idéalisé du French Doctor. « La médecine d’urgence est une médecine de plus en plus pointue. MSF aujourd’hui, ce sont des greffes de peau sous les bombes ou de la chirurgie reconstructrice pour les gueules cassées de la guerre en Irak », détaille Michel Janssens.
Ecoutez le Dr Michel Janssens, directeur de la communication de Médecins Sans Frontières France : « Pratiquer une médecine de qualité dans des situations compliquées demande des moyens sans commune mesure avec de simples consultations de prise en charge d’enfants malnutris. »
« Nous recevons 70 millions d’euros de dons par an, dont plus de la moitié de la part de donateurs réguliers. Notre objectif avec cette campagne est d’élargir ce socle de donateurs réguliers, en convaincant par exemple les trentenaires, dont on sait l’intérêt pour les questions de solidarité internationale », poursuit le directeur de la communication.
Prix Nobel du coup de gueule
Faire connaître son nom et ses actions à un public plus large et plus jeune, en misant sur une forte mobilisation des réseaux sociaux est une stratégie de communication récente pour MSF. « Comme Amnesty International ou l’Abbé Pierre avant eux, beaucoup des fondateurs de MSF étaient convaincus de l’importance de recourir au truchement de l’opinion publique et donc des médias pour faire pression sur les décideurs », raconte le Dr Rony Brauman, ancien président de MSF. Fondée en 1971, l’ONG a donc jusqu’ici plutôt usé des coups de gueule médiatiques, jusqu’à faire entendre une voix volontairement dérangeante à la tribune de l’Académie des Nobel en décembre 1999 lorsque MSF reçoit le Prix Nobel de la Paix.
Ecoutez le Dr Rony Brauman, ancien président de Médecins Sans Frontières : « Faire un discours lisse devant l’ambassadeur russe alors que nous assistions en Tchétchénie à une guerre quasi génocidaire était impensable, il fallait marquer le coup ! »
Vis-à-vis des décideurs comme de ses donateurs, MSF privilégie la communication franche. Quitte à choquer, comme en décembre 2004, en annonçant une semaine après le tsunami dévastateur en Asie du Sud-Est l’arrêt de sa collecte de fonds. « Il y avait un malentendu total, les gens pensaient qu’il y avait des milliers de blessés et des épidémies à craindre. Or ce n’était pas le cas du tout, les survivants n’étaient que légèrement blessés, raconte Rony Brauman. Très vite, il n’y a plus eu d’urgence médicale, c’est pour cela que nous avons demandé à nos donateurs s’ils étaient d’accord pour attribuer les fonds ailleurs. »
Face à l’élan de générosité suscitée par le tsunami, cette prise de position de MSF qui se voulait pédagogique a pour le moins suscité l’incompréhension. « On a été traité d’ayatollahs, comme si on venait troubler cette grande fête de la générosité. Mais dans un deuxième temps, une fois l’émotion passée, nos donateurs ont compris notre démarche et beaucoup nous ont dit depuis que cela avait renforcé leur confiance en nous », explique l’ancien directeur de MSF.
« Nous ne sommes pas devenus sages »
La quarantaine passée, MSF refuse de passer pour assagie, comme en témoigne ses dernières prises de positions sur le blocus sanitaire en Syrie. « Aujourd’hui, nous avons les capacités d’investigation et d’évaluation qui nous permettent d’étayer notre émotion d’arguments médicaux et chiffrés pour convaincre les décideurs. Nous ne sommes pas devenus sages, nous nous adaptons pour que notre indignation apporte des solutions aux victimes », corrige Michel Janssens.
La longue expérience de MSF sur tous les terrains d’urgence médicale de la planète donne également plus de légitimité à sa voix, même lorsqu’elle dérange. Le mois dernier, MSF organisait une table-ronde pour dénoncer le jusq’au boutisme de la campagne mondiale d’éradication de la polio, au prix d’investissements disproportionnés et d’une escalade de violence envers les vaccinateurs au Pakistan et au Nigéria. Les plus hauts représentants de cette campagne d’éradication menée par l’Organisation mondiale de la santé avaient fait le déplacement jusqu’à Paris pour écouter, à défaut d’entendre, les arguments de MSF. « Si nous avions porté ce type de remise en question à nos débuts, nous serions juste passés pour un groupuscule d’illuminés, reconnaît Rony Brauman. Aujourd’hui, nous sommes un groupe international de turbulents qui argumentent pour faire bouger les lignes et à force, ça marche ! »
Toute la semaine, Pourquoidocteur s'associe à la campagne de MSF en allant à la rencontre de médecins de l'ONG pour partager le récit de leur mission.