Pourquoi docteur : Pouvez-vous commencer par nous expliquer ce que défend votre association CLE-Autistes ?
CLE-Autistes : Notre association se situe dans un contexte où la parole des autistes est le plus souvent confisquée par les professionnels et les associations de parents d’enfants autistes. Nous souhaitons défendre la liberté de parole des personnes autistes, leurs droits fondamentaux, leur éducation, leur auto-représentation avec des moyens de communication alternatifs adéquats et un soutien humain et financier pour parvenir à l’autodétermination et à pouvoir faire leurs propres choix. Ces valeurs sont défendues par la Convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées qui recommande notamment de fermer les structures spécialisées pour tous les handicaps (désinstitutionnalisation) afin de pouvoir vivre dans la société à égalité avec tout le monde et promouvoir la fin des traitements forcés. En résumé, les personnes autistes doivent avoir le droit d’être elles-mêmes et d’avoir le contrôle sur leurs décisions et leur vie. Pour la journée de sensibilisation à l’autisme, elles doivent être plus acceptées et respectées, ce qui va plus loin qu’une simple sensibilisation.
"Le but est de voir le handicap sous un angle de droits humains et non pas de déficit"
Nous défendons des aides à la décision et des moyens d’expression alternatifs (Communication Alternative et Augmentée) par exemple et des coopératives entre assistants de vie et personnes concernées pour tout type de besoin, même impliquant une forte dépendance. Le but est de voir le handicap sous un angle de droits humains et non pas de déficit, même une personne vue comme “déficitaire” ou “non autonome” doit avoir la même dignité et les mêmes droits que les autres. Les droits à la liberté, à la sécurité, à l’éducation, à avoir sa propre capacité juridique et à vivre dans la société sans être séparé des personnes n’ayant pas de handicap. La France a ratifié cette Convention mais ne la respecte pas actuellement. Sur le terrain nous développons l'autodétermination des personnes autistes afin qu’elles puissent se défendre, s’exprimer et mieux mener leur vie par elles-mêmes.
Que "reprochez-vous" au fonctionnement de notre société actuellement, par rapport aux personnes avec un trouble du spectre autistique ?
Nous vivons dans une société validiste et saniste [pour “sanisme” qui est une forme de
discrimination envers les individus avec des troubles psychologiques ou des maladies mentales, ndlr] qui est largement inadaptée au handicap, c'est-à dire une société qui pense que l’absence de handicap confère une supériorité sur les personnes en ayant un. Il y a souvent une norme majoritaire qui est imposée aux personnes handicapées, pour les handicaps non physiques on parle de norme “neurotypique”, c'est-à-dire qui est fondée sur des capacités cognitives, intellectuelles, sociales et émotionnelles majoritaires. Les personnes ne correspondant pas à cette norme sont vues comme moins “humaines” ou “anormales” et doivent donc être “corrigées” ou “réparées” par des moyens médicaux ou psychologiques. Les personnes n’arrivant pas à suivre ces normes, malgré les réadaptations, sont mises en structure spécialisée (IME, HDJ, MAS, FAM, ITEP), parfois depuis l’enfance, et vivent une ségrégation de fait. Cela s’applique aux personnes autistes qui sont majoritairement en hôpital psychiatrique et en structure médico-sociale, mais aussi à tous les handicaps mentaux et psychiques. Les plus productifs sont mis en ESAT [Établissement et service d'aide par le travail, ndlr] car on leur trouve une utilité à la société. Mais là encore les personnes handicapées sont souvent exploitées en étant rémunérées en dessous du SMIC, sans le droit de grève ou de se syndiquer. À l’école, il est difficile d’avoir une AESH [Accompagnant des élèves en situation de handicap, ndlr], les professeurs font peu d’efforts pour inclure les autistes en milieu ordinaire. L’école est inadaptée à différentes façons de ressentir l’environnement, différentes façons de se concentrer ou d’acquérir des connaissances, à différentes façons de socialiser. L’inadaptation au travail ordinaire en découle ensuite et le système favorise le placement en ESAT grâce à des défiscalisations ou au contournement du quota handicap en entreprise ordinaire. De façon générale, il existe une exclusion et un refus d’adaptation, y compris pour mener sa vie ou faire ses propres choix.
Personne autiste : "on décide souvent à notre place dans la vie quotidienne"
Pensez-vous que l'on donne assez la parole aux personnes autistes ? Pourquoi ?
Non ce n’est pas le cas. Historiquement en France, ce sont les parents d’enfants autistes qui ont mis en place la prise en charge de l’autisme, l'Etat les reconnaît comme experts dans ce domaine. L’état considère que les personnes concernées par l’autisme sont ces associations, c’est ignorer le lien de subordination entre un parent et un enfant autiste, qui peut impliquer des maltraitances. Et cela empêche les adultes autistes (que notre association représente) de pouvoir exprimer leur propre ressenti et expérience. On décide souvent à notre place dans la vie quotidienne, mais aussi politiquement. Les politiques publiques sont faites sans nous, la plupart des émissions ou débats sur l’autisme se font sans association dirigée majoritairement par des personnes autistes. La stratégie autisme du gouvernement ne prend pas en compte de nombreux sujets comme la pauvreté ou l’avancée en âge des personnes autistes. Sa vision de notre condition est très restreinte et pathologisante. Notre association assume cette auto-représentation. Elle souhaite que les personnes autistes puissent avoir le contrôle sur leur vie et sur leur narration pour tout, y compris dans la recherche scientifique, afin d’aborder et réaliser ce qu’on pense important pour nous. Et que cet important ne soit pas décidé par d’autres selon leur propre vision du handicap ou de l’autisme, souvent déficitaire et inadaptée à nos besoins.
“L’autisme fait partie de nous et on ne peut pas l’enlever, cela modifie notre personnalité, notre vision du monde et il est difficile de nous séparer de lui”
Comment améliorer l'intégration des personnes atteintes d'autisme ?
On parle d’inclusion mais pas d’intégration car l’intégration veut dire souvent réadapter les personnes à la norme majoritaire, comme pour les classes ULIS [Unités localisées pour l’inclusion scolaire,ndlr], les UEE [Unité d'enseignement externalisée, ndlr] ou les UEMA [Unités d’enseignement en maternelle pour enfants avec troubles du spectre de l’autisme, ndlr]. Il s’agit de préparer les personnes à accepter des normes scolaires ou du travail sans chercher à adapter l’environnement de façon accessible et sécurisé pour les personnes handicapées. Le handicap est produit par les barrières d’un environnement inadapté à nos besoins et à nos façons de fonctionner, il s’agit déjà de connaître cette définition et de voir le handicap sous un angle des droits humains. On parle aussi de personnes autistes et non “atteintes” car cet ajout peut être négatif, l’autisme fait partie de nous et on ne peut pas l’enlever, cela modifie notre personnalité, notre vision du monde et il est difficile de nous séparer de lui. On parle aussi de neurodivergence pour montrer ce câblage différent qui ne va jamais partir, il est présent pour la vie.
Il faudrait que la société prenne mieux en compte la neurodivergence et adapte son fonctionnement aux personnes autistes. Ces dernières doivent prendre part à toutes les décisions qui affectent la société. Par exemple, CLE-Autistes a participé avec Alstom à une réflexion sur le design de nouvelles rames de métro qui soit adapté à la particularité sensorielle des personnes autistes (bruit, lumière, couleur). Des initiatives sont prises pour les heures silencieuses en magasin, mais c’est encore marginal et surtout cela devrait être général car cela bénéficie à tous.
L’école devrait accueillir tous les enfants autistes quels que soient leurs besoins avec une aide AESH individualisée, mais cela implique d’adapter les programmes, les évaluations, la façon d’enseigner et la formation des enseignants… On devrait accepter une personne autiste non oralisante en classe et l’enseignement devrait pouvoir prendre en compte cela sans chercher à changer la personne. En définitive, il faut d’abord écouter les personnes concernées, prendre en compte leurs besoins et fournir des adaptations propres, qui respectent leur façon de fonctionner afin qu’elles puissent trouver leur place.
Haut potentiel intellectuel, manque d’empathie… les nombreux clichés sur l’autisme
Quels sont les clichés auxquels sont souvent soumis malgré eux les individus avec un TSA ?
L’autisme n’est pas causé par la mère ou par les vaccins, c’est un handicap développemental et neurologique. Il y a des clichés sur les profils sociaux, il concernerait les petits garçons, plutôt blancs alors que l’autisme est présent dans toutes les couches sociales de la société. Les femmes, les minorités ethniques, de genre ou sexuelles, les migrants sont sous diagnostiqués ou ont un autre diagnostic assigné par la psychiatrie. L’autisme ne disparaît pas à l’âge adulte, les autistes sont en majorité des adultes mais sont les moins bien servis en termes d’attention et de moyens. La psychiatrie produit beaucoup de clichés notamment sur le manque d’empathie, le manque de théorie de l’esprit, le manque d’humour alors que ces préjugés ont été invalidés par de nombreuses études récentes. Les autistes sont aussi sociables que les autres, et l’autisme n’est pas en rapport avec la timidité ou le manque de sociabilité. Ce n’est pas juste être bizarre ou excentrique, c’est un handicap affectant l’autonomie et la communication et il y a besoin d’adaptation et de soutien comme tous les handicaps. Il existe aussi des clichés sur nos intelligences, l’autisme n’a pas de rapport avec l’intelligence. Il y a aussi le fait d’être vu avec un fort potentiel intellectuel alors que notre intelligence est normale en moyenne, et cette intelligence est surtout mesurée avec des outils inadaptés à notre fonctionnement ou à notre expression. Les autistes ont une diversité d’intérêts comme beaucoup de neurotypiques, et pas seulement les maths, les sciences ou l’informatique. De plus, tous les autistes, y compris dits "sévères”, peuvent avoir accès à une vie autonome, à égalité, si on s’en donne les moyens et qu’on adapte la société à des fonctionnements atypiques.