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Cancer et sexualité

Patients et soignants lèvent le voile

Par La rédaction

Du cancer de la prostate à celui du sein, toutes les tumeurs malignes peuvent avoir un retentissement sur la sexualité. Ces troubles commencent à être plus étudiés et mieux pris en charge.

Quel peut-être l'impact d'un cancer sur la sexualité d'un malade et de son couple ? Quand et comment évoquer le sujet, et que proposer ? Pendant trois jours, le XXIVe congrès de la Société Française de Psycho-Oncologie (19-21 décembre, Strasbourg) a été entièrement consacré à ces questions. Cancérologues, chirurgiens, psychologues, anthropologues, sociologues… De multiples spécialistes ont fait part de leurs expériences, et débattu avec les quelques 800 participants au colloque .


Clairement, la sexualité des malades du cancer fait désormais partie des préoccupations des soignants. « En 20 ans, on est passé du cancer maladie aigue au cancer maladie chronique avec une prise en compte de la qualité de la vie dont fait partie la sexualité. Les oncologues ont dû intégrer le désir de vivre pleinement pendant un cancer », constate le Pr Patrick Dufour, cancérologue à Strasbourg. « L'accélération des progrès médicaux a entraîné une baisse significative de la mortalité, notamment dans le cancer du sein. Alors les exigences changent », confirme le Pr Jean-François Morère, oncologue à l'hôpital Avicenne. Le plan cancer a aussi contribué à cette évolution en accordant plus de moyens et d'importance à la prise en charge psychologique des patients.

Pourtant, comme les confirment les intervenants, toute communication autour du thème de la sexualité reste difficile, pour les malades comme pour l'équipe médicale. « Les patients sont souvent ambivalents, ils aimeraient de l'information mais n'osent pas la demander », avance Eliane Marx, psychologue et présidente du congrès (écouter ci-contre). Peu abordé spontanément dans les consultations, le sujet l'est davantage par écrit, en particulier grâce à l'anonymat d'internet. « Les jeunes et les femmes expriment volontiers leurs problèmes sexuels sur des blogs », note le Pr Marie-Frédérique Bacqué, psychologue à Strasbourg, qui mène une vaste enquête sur le vécu des malades du cancer (notamment via les blogs). Qu'y racontent-ils ? « Beaucoup d'hommes restent dans les stéréotypes de la performance. Les femmes sont plutôt dans l'expression de leur désir, et leur souhait d'être désirées » analyse la psychologue.

Quant aux soignants, ils restent timides pour poser des questions à leurs patients sur leur sexualité, et les prévenir des éventuels troubles liés au traitement. Dans une enquête par questionnaire auprès de plusieurs centaines de femmes traitées pour cancer du sein à l'Institut Curie, 65% se considèrent ainsi mal informées par leur cancérologue sur la question. Manque de formation et de temps, plaident ces spécialistes. Une autre enquête, conduite par Daniel Habold et Pierre Bondil (hôpital de Chambery) confirme le malaise des soignants par rapport au sujet. La quasi-totalité hésite à avoir une « attitude pro-active » vis à vis des patients concernant la sexualité, et leurs savoirs théoriques et pratiques sont jugés « faibles » pour les médecins, « quasi-nuls » pour les non-médecins. Ces soignants sont demandeurs d'une consultation spécialisée, qui va d'ailleurs se mettre en place à l'hôpital de Chambery.


Les troubles de la sexualité sont dus le plus souvent aux traitements


Contrairement à une idée reçue, ce sont plus souvent les traitements que la tumeur elle-même qui induisent des troubles sexuels. « Dans le cancer de la prostate, toutes les thérapeutiques ont un retentissement sur la sexualité, entraînant impuissance, anéjaculation… », assure le Pr Didier Jacqmin (urologue au Chu de Strasbourg). Les ¾ de ces patients souffrent de dysfonction érectile au long cours après traitement.
Les séquelles sexuelles, d'origine vasculaire ou neurologiques, sont également fréquentes après la prise en charge –par chirurgie, radiothérapie…- d'une tumeur des organes sexuels ou située dans le petit bassin.

La problématique est plus complexe pour le cancer du sein, tumeur maligne la plus fréquente chez les femmes (42000 nouveaux cas par an). Baisse du désir, sécheresse vaginale,
et douleurs lors des rapports sont les plaintes les plus fréquentes.« Les études montrent qu'au cours de ce cancer, la sexualité est plus altérée par les chimiothérapies que par la chirurgie », relève le Dr Pascale This, gynéco-endocrinologue à l'Institut Curie. Quant à la perte du sein, très symbolique, elle est finalement souvent plus mal vécue par le partenaire que par la patiente elle-même.

Quel que soit le cancer, de nombreux facteurs peuvent entraîner des difficultés sexuelles pour le couple: modifications corporelles (cicatrices, défiguration des cancers ORL, mastectomie, cachexie ou au contraire oedèmes), mais aussi impact de la maladie sur l'état général (fatigue, douleurs, impotence fonctionnelle…). « Les traitements antidépresseurs ou anxiolytiques, les antalgiques peuvent aussi interférer », ajoute le Pr Morère, tout en rappelant que les troubles de la sexualité, au sens large, sont très fréquents en population générale. D'après la littérature internationale, ils concerneraient jusqu'à un tiers des hommes et une femme sur deux…

Apprendre au partenaire à toucher la cicatrice

Selon les spécialistes présents au congrès, une partie des troubles de la sexualité pourrait en tout cas être prévenue par des traitements moins agressifs. « Dans le cancer du sein, il faut essayer d'éviter les ovariectomies intempestives chez les femmes jeunes, et bien peser les bénéfices des chimiothérapies », explique ainsi Pascale This. Médecins et psychologues insistent aussi sur la nécessité d'informer le plus précocement possible, et de s'enquérir d'éventuels troubles au cours du suivi de la maladie. « Il faut parler tôt, avec pudeur et essayer de savoir ce qui pose réellement problème : un conjoint devenu froid, le contexte conjugal… L'enjeu est de redonner confiance au couple, en sachant parler à chacun », conseille l'obstétricien Israël Nisand (Strasbourg).« Chez la femme qui a subi une mammectomie, il est très improtant que le gynécologue comme le partenaire apprennent à toucher la cicatrice, ajoute le sexologue Sylvain Mimoun. Encore faut-il que le partenaire soit à l'aise. Certains hommes me disent, quand je vois ma femme, je vois une morte... ».

Mais si le cancer est souvent une épreuve pour un couple, l'expérience n'est pas toujours négative. Dans l'étude menée à Curie chez des femmes traitées pour cancer du sein, une baisse du désir sexuel était signalée par 54% des patientes, mais dans un tiers des cas, la maladie avait rapproché les deux époux. « Je reste impressionnée par le rôle majeur du partenaire. Un nouveau partenaire sexuel est même parfois plus efficace que les traitements qu'on peut proposer », sourit Pascale This.