Pourquoi Docteur : Qu'appelle-t-on le love-bombing, présenté comme une arme des pervers narcissiques ?
Johanna Rozenblum : Le love bombing, auparavant appelé “la phase de lune de miel”, est la première étape d’une mise sous emprise. Elle consiste pour le partenaire qui veut assujettir l’autre à créer les conditions nécessaires pour la mise sous emprise. En général, c’est une période en début de relation où il ou elle - mais il s’agit plus souvent d’hommes - se fait passer pour l’individu providentiel, la personne tant attendue : attentions intenses, compliments très nombreux… Son objectif est de combler en quasi-totalité toutes les attentes de sa future proie. C’est-a-dire s’adapter à toutes ses émotions, à ses attentes, à ses besoins pour qu’elle se sente aimée comme elle ne l’a jamais été. Ainsi, la victime se trouve dans une situation d’ultra confiance qui va la rendre dépendante.
Le love bombing est la première étape de la mise sous emprise
Bien sûr, pour la victime, il ne s’agit pas d’une étape. Pour elle, c’est le reflet de l’histoire d’amour qu’elle va vivre. Mais, pour le prédateur, cette ultra-présence n’est qu’une étape temporaire. En vérité, il n’y a pas d’amour, c’est un masque social. Pour lui, il s’agit de parvenir à l’assujettissement de sa proie. Le love bombing est utilisé par tous les individus qui souhaitent soumettre l’autre ou être au centre de l’attention. C'est-à-dire les personnalités manipulatrices et égotiques, à l’instar des pervers narcissiques.
Love bombing : “il semble être une personne couteau suisse, toujours à 100 %”
Quels sont les signes qui peuvent faire craindre d’être la cible d’un love bombing ?
Il y a deux signes essentiels que l’on se trouve face au love bombing d’un manipulateur ou pervers narcissique. Le premier est d’avoir le sentiment d’être tombé sur une personne providentielle, voire trop parfaite. Elle donne l’impression de tout comprendre, même ce que nos proches n’ont jamais compris. Elle est toujours à l’écoute, toujours dans l’empathie… Elle semble être une personne couteau suisse, toujours à 100 %. C’est finalement presque trop… Toutefois, les cibles du love bombing peuvent généralement le dire qu’avec du recul.
D’ailleurs, cela conduit au deuxième signe d’alerte. Souvent les victimes - quand elles réalisent qu’elles ont été victimes des mois, voire des années après - parlent d’une intuition. Elles reconnaissent qu’elles avaient noté quelque chose qui ne semblait pas naturel, préfabriqué. Mon conseil est de s’attarder sur cette sensation, et s’interroger. La personne parfaite et providentielle n'existe pas.
Pour la victime, la phase “lune de miel” est représentative de la personne, mais c’est faux
Comment réagir si on se trouve dans cette première étape de la mise sous emprise ?
Lorsqu’on est en face d’un manipulateur, il faut absolument partir. Ce qu’il faut comprendre c’est que les manipulateurs ont une personnalité perverse narcissique. Ils ne se remettent pas en question. Le problème est systématiquement les autres, et ils ne travailleront jamais sur eux. D'ailleurs, on ne voit jamais les manipulateurs dans les cabinets des psychologues. On ne voit que les victimes une fois qu’elles sont détruites.
Vu qu’ils n’ont pas d'esprit d’autocritique, qu’il n’y a pas de volonté de travail psychique sur son trouble de la personnalité ou son rapport aux autres, il ne faut pas imaginer que la personne va changer.
C’est ce qui est très dangereux dans le love bombing. Du point de vue de la victime, cette phase “lune de miel” est représentative de la personne et de la relation. Ainsi, elle ne part pas, car elle pense qu’elle va retrouver la personne des premiers jours, celle dont elle est tombée amoureuse. Mais en réalité, cette personne n’existe pas. La seule solution est de partir.
Relation toxique : "si on aime son amie, il faut en parler..."
Les personnes amoureuses n’ont pas toujours le recul pour voir les failles de leur nouvelle relation, à la différence d’un œil extérieur. Que faire si on a l’impression qu’un proche est la cible du love bombing d’un pervers narcissique ?
Si on aime son amie, il faut en parler d'emblée… même si ce n’est pas simple. Il faut faire part de ses inquiétudes pour elle. Après, elle ne l’entendra peut-être pas, surtout si une forme de déni s'est déjà installée.
Ensuite, la meilleure preuve d’amitié est de rester à ses côtés quoi qu’il arrive, de maintenir un lien. En effet, dans la seconde étape - celle qui marque l’instauration de la mise sous emprise et la manipulation - il y a l’isolement social. “Heureusement que tu m’as, tu es lâchée par tout le monde, etc...” voici le type de phrases que dit le pervers narcissique pour garder l’autre sous sa coupe. La personne se retrouve isolée.
Donc, si vous parvenez à toujours être présent, quand les problèmes apparaîtront ou quand elle aura ouvert les yeux, elle aura quelqu’un vers qui se tourner, à qui demander de l’aide.
La psychologue Johanna Rozenblum est également l'auteure de plusieurs livres dont "Pervers narcissique : comprendre l’emprise pour s’en libérer" aux éditions Alpen.