« Nouvelle mission en vue. Je pars dimanche midi pour Naples. J'y passe la soirée, j'aurai le temps de me manger de vraies pâtes. Je repars lundi matin avec un vieux monsieur qui a une leucémie, pour le ramener en avion, en civière, à Bruxelles. Ce coup-ci, ce sera ambulance sur le tarmac jusqu'à l'avion, civière montée directement dans l'avion, etc. ».
Sur son blog intitulé "les tribulations d'un (petit) urgentiste roux », Zecclar, raconte jour par jour, voire heure par heure, ses aventures de jeune professionnel du rapatriement sanitaire. Photos (de paysage et de lui-même) et vidéos à l'appui. La formule plaît apparemment, à en juger par les commentaires enthousiastes d'internautes à chacun de ses posts.
Moins exotique mais tout aussi instructif, le journal en ligne du Dr Vincent décrit le quotidien et les « états d'âme », dixit son créateur, d'un médecin de campagne. Extrait d'un article de novembre 2007 : « Un de mes patients est hospitalisé pour trois mois au moins pour un gros souci de prothèse. C'est pourquoi j'étais très surpris quand l'épouse est arrivée afin que je renouvelle l'ordonnance de son mari : " Docteur, les médecins de l'hôpital sont des chirurgiens, alors ils ne renouvellent pas l'ordonnance pour les médicaments du coeur ! " Alors je me suis retrouvé à écrire une ordonnance à un type que je ne consultais pas et, la patiente ayant conscience de l'absurdité de la situation a poussé la logique jusqu'au bout en me réglant la consultation! ».
Autre généraliste, préoccupations proches mais ton différent. Dans un post intitulé « Autopsie d'une consultation ordinaire », Thierry Lecoquierre, alias Dr Coq décrit sans tabous le début d'une journée difficile. « 11 h 00 pétantes, j'ouvre la porte de la salle d'attente pour la consultation de 10 h15, retardée par un visiteur médical coriace mais surtout par une consultation compliquée où j'ai du annoncer à un patient parlant mal le français qu'il était porteur du virus du SIDA, virus dégotté à l'occasion d'un examen systématique obligatoire pour le compte de l'OFPRA, écrit-il. Le patient de 10 h 30 râle, il doit faire ses courses : c'est un sinistre con franchouillard bas du front, malpropre et empestant l'ail, qui ne peut s'empêcher de faire remarquer qu'il attendrait moins s'il était étranger ! »… La suite de cette journée ordinaire mais visiblement éprouvante est à l'avenant.
A première vue, le style peut paraître abrupt, mais la mise en garde, en haut de la page d'accueil atténue le propos.
« Qu'on ne s'y trompe pas. Même si un ton badin est utilisé, je traite dans ce blog de sujets difficiles : ceux de la médecine générale, c'est à dire tout ce qui touche à la réalité de l'humain, écrit le Dr Coq. Comme le carabin s'empare du rire pour affronter l'insoutenable, je cherche la raison à travers la dérision. J'utilise la caricature verbale pour tenter d'atteindre des territoires que le conformisme ne connaît pas. J'espère que mon impertinence deviendra pertinence ».
Trois exemples parmi d'autres. Installés de longue date ou encore étudiants, généralistes ou spécialistes, libéraux ou hospitaliers, comme les autres professionnels de santé, les médecins n'échappent pas à la folie planétaire des journaux en ligne. Certes, au regard des quelque 5 millions de blogs créés en France (selon une enquête de Médiamétrie datée de juin 2007), la soixantaine de « doc-blogs » -recensement sur le site medecine2.0 semble bien modeste. « Les sites médicaux se comptent par centaines mais le nombre de blogs individuels de praticiens est assez limité », confirme Gaétan Kerdelhué de l'équipe CISMeF (catalogue et index des sites médicaux francophones), du CHU de Rouen, qui a participé à la création du site medecine.2.0.
Mais les médecins blogueurs sont, en tout cas pour certains, particulièrement actifs, et leurs sites, enrichis quotidiennement ou presque, sont très populaires.
Le blogdupetitdocteur reçoit ainsi 300 à 500 visites par jour, selon son enthousiaste créateur, le Dr Guillaume Lardéchois (écouter ci–contre). Même succès pour grangeblanche, le blog de Lawrence Passmore, pseudo d'un trentenaire spécialiste en médecine cardio-vasculaire, exerçant dans la région lyonnaise.
Le blog comme haut-parleur
Informations médicales ou de santé publique, coups de gueule (sur les visiteurs médicaux, la Sécu…), agacements devant le sans gêne de certains patients, mais aussi désarroi devant des maladies graves, la misère et la mort… Dans leur journal souvent anonyme, les médecins n'hésitent pas à tomber le masque. « On raconte des situations auxquelles on est confronté et dont il n'est pas facile de parler à son conjoint ou ses amis », note Guillaume Lardéchois. Un moyen de rompre une certaine solitude, donc. Mais le blog n'est pas qu'un exutoire. Il suffit de voir la diversité des sujets abordés : politique, culture... «J'essaie de faire une relecture de l'actualité. En fait, on est des citoyens avec un stétho autour du cou », continue ce généraliste.
« Le blog c'est un haut-parleur, cela me permet d'aborder des sujets qui me tiennent à c½ur, renchérit Lawrence Passmore. En ce moment par exemple, je m'intéresse au micro crédit, alors j'en parle sur grangeblanche». Effectivement, en date du 5 décembre, il consacre un article très détaillé au site kiva.org, qui permet aux citoyens de prêter de l'argent à des entrepreneurs de tout poil et de toutes origines géographiques. Passionné par cette nouvelle activité (il écrit tous les jours), Lawrence Passmore la voit comme une deuxième vie, l'occasion de rencontres (virtuelles) inattendues et enrichissantes . C'est ainsi qu'il est en contact régulier avec d'autres médecins blogueurs (qui semblent en fait former une sorte de « communauté », chacun référençant au moins une dizaine de sites de confrères dans ses blogs préférés). Il y a aussi les échanges, parfois passionnants avec ceux, fidèles ou non du blog, qui postent leurs commentaires sur les sujets du jour.
Si quelques docblogueurs connus, tels Christian Lehmann écrivent sous leur véritable nom, la plupart préfèrent prendre un pseudo. Une discrétion qui permet de ne pas fausser les rapports avec leurs patients, disent-ils, et d'avoir une parole plus libre, sans crainte de se faire rappeler à l'ordre par des mécontents. « Il faut rester respectueux des confrères et des malades, ils ne doivent pas être reconnus », insiste Lawrence Passmore. Faute d'avoir respecté ces obligations déontologiques, quelques médecins et étudiants auraient été contraints à la fermeture de leur blog, leur hiérarchie et collègues n'ayant guère apprécié les critiques au grand jour.