"C’est arrivé du jour au lendemain. Un jour, il y a une pensée qui est arrivée et, je ne sais pas pourquoi, elle est restée dans ma tête et n’est jamais partie. Je me suis vue faire cette action violente et j’ai commencé à vraiment flipper, à penser que je pouvais faire du mal à ma famille”. Des pensées comme celle-ci, Sarah, Strasbourgeoise de 28 ans, commence à en avoir de plus en plus à partir d’avril 2017. Elle développe alors ce qu’on appelle un trouble obsessionnel compulsif (TOC).
“Un TOC, ça commence par une pensée qui revient de façon obsessionnelle et qui nous suit tout le temps au point de nous empêcher de vivre normalement. Cette obsession se traduit par une compulsion : un geste, une action ou une non-action comme une fuite, qui va avoir pour objectif de bloquer cette pensée obsessionnelle”, explique-t-elle. “Sauf que ça ne marche pas, car le TOC se nourrit de lui-même, et plus on fait cette action plus la pensée va être obsessionnelle. C’est un cercle vicieux. C’est compliqué car on a l’impression que cela nous soulage, car l’action nous apaise sur le moment, mais en fait cela nourrit le TOC”, ajoute Sarah.
"Je cachais tous les couteaux dans la maison"
Cependant, il ne s’agit pas de n’importe quel TOC. Son trouble à elle est moins connu : c’est la phobie d’impulsion. “Ce sont les personnes qui ont ce TOC particulier de penser qu’elles vont faire du mal aux autres ou à elles-mêmes. Une idée assez commune par exemple, c’est qu’au moment où tu attends à un passage piétons, tu te vois mentalement te jeter sous une voiture. Cette pensée, tout le monde peut l’avoir de manière très furtive, parfois même sans s’en rendre compte. Mais dans le cadre de mon trouble, la pensée va me sembler tellement vraie que je vais continuer à y penser toute la journée et ça va m’obséder”, développe la jeune femme. “Par exemple, quand je voyais un couteau, j’avais l’impression que je pouvais l’utiliser sur quelqu’un que j’aime. Et l’action de compulsion, c’était de cacher tous les couteaux dans la maison”, raconte-elle.
Alors qu’à l’époque, elle habitait chez ses parents en région parisienne, cette obsession a d’abord eu un impact sur sa vie familiale : “Je voulais même plus y vivre parce que j’avais une petite sœur de 10 ans et je ne voulais pas être un danger pour elle. J’avais tellement peur de lui faire du mal que je trouvais toujours des stratagèmes pour ne pas à avoir à la garder et être toute seule avec elle. Ce TOC s’attaque aux choses que tu aimes le plus dans la vie, à tes valeurs profondes… c’est pour ça que ça fait aussi mal.”
Puis ce TOC a également affecté ses études. “Les pensées sont parfois tellement obsessionnelles que tu ne peux plus penser à rien d’autre et ça devient impossible d’apprendre des choses par cœur car c’est hyper compliqué de te concentrer. J’avais des trucs à rendre mais je procrastinais car je n’arrivais même pas à poser un mot sur une feuille”, indique celle qui tentait de passer des concours pour les écoles de journalisme à ce moment-là.
"J’avais commencé à me détester, à me dire que je ne méritais pas de vivre"
Sarah avait beau se forcer à penser à autre chose, rien ne fonctionnait. “C’est un peu comme un boomerang, plus on essaie de l’envoyer loin plus ça revient. Je ne pouvais même plus regarder de film, lire de livre... Sortir aussi était devenu très compliqué car il pouvait toujours y avoir des déclencheurs. Du coup, je fuyais tout et c’est impossible de vivre quand on fuit tout, explique-t-elle. Même dans le métro, j’avais l’impression que je pouvais aller attaquer les gens… c’était n’importe quoi".
Au bout de quelques mois, et comme beaucoup d’autres personnes concernées, son TOC s'est mué en dépression. “La dépression avait tellement pris le pas sur ma vie que je n’avais plus que des pensées noires. Je n'en parlais à personne, car j’avais trop honte d’avoir ces pensées, je me disais que les gens allaient considérer que j'étais folle, n'allaient plus vouloir me côtoyer... J’avais commencé à me détester, à me dire que j’étais une personne horrible et que je ne méritais pas de vivre. Je ne suis pas allée jusqu’à penser au suicide mais je me disais quand même que si j’étais morte ça serait beaucoup mieux pour tout le monde, et je me disais parfois qu’il fallait m'enfermer pour que je ne sois plus un danger. Alors que bon, je n’avais jamais fait de mal à personne”.
En octobre 2017, elle décide alors de consulter un psychologue : “J’avais perdu l’appétit car j’avais tout le temps une boule d'angoisse dans le ventre comme si j’allais passer un examen. Je n’arrivais pas à dormir non plus. Et surtout, je ne prenais plus de plaisir à rien - un symptôme courant de la dépression - comme j’avais toujours une petite voix dans ma tête qui me disait des choses méchantes. J’étais un peu l’ombre de moi-même et c’était devenu dangereux pour ma santé. C’est à ce moment-là que je me suis dis qu’il me fallait un traitement”.
"C’est comme si mon cerveau était devenu un harceleur et moi sa souffre-douleur"
Mais cela ne fonctionne pas : “Dans le cadre des TOC, surtout pour la phobie d’impulsion, la psychothérapie n’est pas très efficace. Il faut travailler sur la pensée elle-même et pas forcément sur les causes de la pensée”.
Heureusement, les antidépresseurs qui lui sont prescrits quelques mois plus tard sont un remède très efficace et les pensées obsédantes, ainsi que la dépression qui y étaient liées, s’évanouissent progressivement, malgré une période de rechute quand elle met un terme au traitement en 2019. Aujourd’hui, après un suivi psychiatrique, Sarah parvient à contrôler ses pensées pour qu’elles n’aient pas d’impact sur sa vie et a pu arrêter les antidépresseurs sans rechute.
Avec le recul, Sarah à trouvé une image pour définir son trouble : “C’est comme si mon cerveau était devenu un harceleur et qu'il voulait faire de moi une souffre-douleur avec ces pensées obsédantes. Si tu essaies de le fuir à chaque fois et qu’il voit que tu souffres alors il va encore plus te faire souffrir, mais si tu l’ignores juste, à un moment il se lassera”.
"Les TOC ne vous suivront pas à vie, il y a de l’espoir”
Si Sarah souhaite désormais mettre en lumière son trouble, c’est également pour rassurer les personnes atteintes, leur montrer qu'elles ne sont pas seules et les encourager à ne pas se renfermer sur soi à cause de ce tabou. “En ayant appris pas mal de choses sur ce TOC grâce à des comptes de santé mentale sur Instagram etc, j’ai pu me dire que je n'étais pas complètement tarée et que je n'étais pas la seule à vivre ça. Ça m’a beaucoup aidée", reconnaît-elle. "Avant je n’en parlais pas du tout à mon entourage, puis je me suis rendue compte que ma meilleure amie pouvait avoir ce même genre de pensées, que ma mère aussi au moment où elle a accouché de moi, et que beaucoup d’autres femmes qui viennent d’accoucher avaient cette peur de faire du mal à leur bébé. Et c’est super tabou forcément. Mais c’est juste un trouble mental comme un autre, comme la dépression, et il n’y a pas de honte à avoir ça. Ce sont juste des pensées”, souligne Sarah.
Un argument lui vient à l’esprit à ce propos : “À l’époque où je me disais que j’étais un monstre, j’ai réalisé plus tard que si j’étais effectivement un monstre psychopathe et que je voulais vraiment faire du mal aux gens, je ne me poserais même pas la question. On est juste des gens trop anxieux et en vrai on est plutôt des bonnes personnes car on a tellement peur de faire du mal aux gens qu’on s’en rend malade”.
Pour les personnes qui ont le même trouble qu’elle, la jeune femme se veut encourageante : “il faut se faire suivre par un psychiatre, c’est important. Moi j’ai plus ou moins réussi à m’en débarrasser, donc ça ne vous suit pas à vie, il y a de l’espoir.”