"Mon fils Émile est atteint d’une maladie ultra-rare : la mutation KCNB1. Cette mutation fait que le gène est endommagé et le contrôle du flux du potassium dans ses cellules se trouve perturbé. Ce qui entraîne des retards du développement". Il a fallu près de 11 ans - parsemés de très nombreux examens et de paroles blessantes des médecins - avant que Juliette Lacronique-Gugliermina puisse prononcer ces mots et enfin comprendre l'origine des troubles présentés par son enfant.
Retard de développement : une inquiétude peu entendue par les médecins
Déjà maman d’un petit Clément, Juliette s’est assez vite interrogée sur la santé d'Émile : "le retard de développement, et plus précisément le fait qu’il ne tenait pas assis à huit mois, a commencé à m’alerter. L’absence de la position assise était un élément factuel. C’était facile à montrer aux médecins. Toutefois, c’était accompagné d’autres éléments : la sensation que quelque chose n’allait pas ainsi que le fait qu’il dormait tout le temps, ne bougeait pas, qu’il n’y avait pas de vraies réactions pendant les repas…".
Néanmoins, son inquiétude n’a pas été entendue par les différents médecins consultés.
"On me disait à l’époque : “c’est normal, c’est le deuxième, comme vous êtes moins stressé, il l’est également moins que le premier”. J’ai aussi eu : “Il dort ? Vous n’allez pas vous plaindre quand même”. Un autre médecin a mis sa lenteur de développement sur ma manière de le porter. J’étais entré dans son cabinet en le portant contre moi", se rappelle la maman. "J’ai trouvé ça dur, car c’était qu’un moment anecdotique. Je ne le portais pas tout le temps. Et en plus, je pouvais difficilement faire autrement puisqu’il était hypotonique et qu’il ne tenait pas son dos".
Et finalement, lorsqu’elle rencontrait des docteurs prêts à l’écouter, leur réponse était d’attendre que le petit garçon ait un an, “car cela pouvait encore évoluer, un déclic était possible”.
"Comme Émile est du 4 septembre, je suis retournée chez le neurologue le 22 septembre. Le déclic n’ayant pas eu lieu, il l’a examiné et demandé une IRM suspectant une tumeur cérébrale, les résultats sont revenus normaux. Il fallait chercher ailleurs".
Mutation KCNB1 : “Pour Émile, rien n’était inné”
Malgré l’absence de diagnostic, la prise en charge d’Émile, alors âgé d’un an, a commencé. "On a compris que chez Émile, rien n’était inné. Il fallait tout lui apprendre. C’est le kiné qui lui a appris à marcher, la psychomotricienne lui a enseigné à pointer ou à jouer. Elle lui a appris les sensations aussi, car pour lui tout est douloureux : le bain, mettre de la crème. Petit à petit, il est sorti de son monde. Il a commencé à se connecter aux autres : le frère, les grands-parents. Il est finalement entré dans le langage à six ans. Maintenant à 12 ans, il parle comme un enfant de six ans", explique Juliette.
Pendant toute cette période, les rendez-vous avec les pédiatres puis les généticiens se sont succédés pour tenter de mettre un nom sur les difficultés rencontrées par Émile.
"Compte tenu des altérations des interactions sociales et de la communication qu’il présentait, il a passé des examens pour trouble du spectre de l’autisme à neuf ans. Mais je ne me suis pas arrêtée à ce diagnostic. Il y avait autre chose".
La famille s’est alors rendue à Dijon pour réaliser un test génétique appelé séquençage haut débit d'exome, refusé à l’hôpital Necker en raison du coût. "Il s’agit d’un prélèvement sanguin réalisé sur le petit, mon mari et moi", précise la mère de famille. Si la première analyse n’a pas donné de résultat, des études parues par la suite ont permis de trouver la cause des retards de développement d’Émile qui avait alors 11 ans : une mutation sur le gène KCNB1.
"On nous a également dits que c’était de novo : ce qui veut dire que ni moi, ni son père n’est porteur. La mutation s’est faite au moment de la conception".
Diagnostic d’une maladie ultra-rare : “j’ai pleuré pendant une semaine”
Si Juliette avait attendu une réponse durant des années, la pose du diagnostic a été difficile. “Si mon mari l’a accueilli sereinement, j’ai pleuré pour ma part pendant une semaine et déprimé durant 15 jours… alors que j’étais en errance médicale depuis plus de 10 ans et que j’avais insisté pour faire ce test génétique”, explique-t-elle.
Elle reconnaît ensuite : “Comme sa maladie n’est pas visible physiquement, inconsciemment, j'attendais toujours ce fameux déclic dont on m’avait parlé à ses un an. Ce n’était pas vraiment un déni, c’était plutôt un espoir”.
Mais la pathologie était bien là, et elle avait désormais un nom. Juliette a repris le combat, un peu différemment. "Une fois cette phase passée, je suis entrée dans l’action. J’ai découvert l’Association KCNB1 France et compris qu’une trentaine de familles était concernée par la maladie. J’ai intégré l’organisation ainsi que son bureau. Nous travaillons à aider les familles et la recherche. Nous avons participé à financer une équipe de scientifiques qui travaille sur ce gène spécifiquement", précise-t-elle.
“Mes efforts ne serviront peut-être pas à ma famille et à mon fils, mais cela servira peut-être à d’autres enfants ou pour d’autres maladies. Je ne pourrai pas me dire que je n’ai rien fait”, ajoute la maman.
“Le diagnostic n’a rien changé à notre situation, mais cela a apaisé”
Et si le diagnostic a été compliqué à entendre, la mère d’Émile est parvenue à en tirer du positif. “Il n’a rien changé à notre situation, mais cela a apaisé toutes les réflexions que j’ai reçues quand il était petit”. De plus, il a permis de rassurer les parents concernant l’avenir de leurs deux autres enfants. “La pathologie n’est pas inscrite dans notre patrimoine génétique. Ils pourront avoir des enfants, sans avoir plus de risque que d’autres de transmettre cette maladie”.
Par ailleurs, au moment du diagnostic, la fille de Juliette avait tout juste quatre mois. Ce diagnostic a ainsi aussi soulevé quelques-unes des inquiétudes de la maman. “Tout comme la grossesse, les premiers jours et mois de vie de Maé ont été source d’angoisse. On scrutait son développement, car les six premiers mois d’Émile avaient aussi été idylliques. Mais à chaque fois que les médecins la voyaient, ils étaient tout de suite rassurants en faisant remarquer qu’elle était très tonique alors qu’ils ne connaissaient pas forcément notre histoire. Malgré tout, on a vraiment été soulagé quand elle a tenu assise à ses 6 mois et marché à 11”.
Mutation KCNB1 : un quotidien toujours compliqué
Une des plus grandes difficultés auxquelles font face Émile, Juliette et leur famille est le manque de structures. “Les difficultés sont partout. Par exemple, sa structure d’accueil ferme deux mois cet été et Émile n’est pas du tout autonome. Alors qu’est-ce qu’on fait : je prends un mois pour être avec lui, et mon mari le second… mais dans ce cas-là, nous n’avons pas de vacances ensemble. Tout est compliqué, car il n’y a pas assez de structures”.
Le manque de solution avait d’ailleurs conduit Juliette à stopper sa vie professionnelle pendant 10 ans. “Je me suis arrêtée de travailler, car l’école ne l'accueillait pas. Et c’est un cercle vicieux ensuite. Comme on ne travaille pas, s’il y a des places disponibles dans les structures, nous ne sommes pas prioritaires”, se rappelle Juliette.
Si elle a pu reprendre le travail, il y a un an, elle risque de faire face à un autre casse-tête l’année prochaine, lorsque son fils aura soufflé ses 13 bougies. “Le centre de loisir qui avait accepté de l’avoir l’après-midi ne pourra plus le prendre en raison de son âge. Ma ville propose des ateliers ado à partir de 13 ans. Mais, il ne pourra pas les intégrer, car il n’est pas assez autonome. Aucune solution ne m'est proposée. Pourtant, je suis persuadée que je ne suis pas la seule maman avec un enfant en situation de handicap qui a des besoins de garde et de répit”.
Parents aidants : “On s’oublie”
Problèmes d’accueil, gestion des rendez-vous médicaux, démarches administratives à répétition… le quotidien des parents d’enfants en situation de handicap est particulièrement éprouvant, aussi bien pour leur santé physique que psychique.
“Mes deux sœurs ont eu un cancer du sein. Je dois normalement être suivie tous les ans. Quand j’étais dans le marasme de la recherche de diagnostic, je n’ai pas fait de mammographie pendant six ans alors que je suis à risque. Quand je m’en suis rendu compte, j’ai eu peur. On s’oublie, ce qui peut au final nous mettre en danger”, reconnaît Juliette.
Que faire pour aider Juliette et les autres aidants ? “Il ne faut pas avoir peur des situations de handicap, mais aussi faire preuve de bienveillance : ne jugez pas les parents si vous voyez un enfant faire une crise dans la rue. Comme pour Émile, le handicap n’est pas toujours visible”, répond la maman. “Autre conseil : si vous avez un proche aidant, n’hésitez pas à demander : “comment je peux t’aider ?” car on n’ose pas forcément demander”.
Et que cela soit pour un rendez-vous professionnel, faire des démarches administratives, passer une mammographie, accompagner le frère au foot ou même aller chez le coiffeur, fêter son anniversaire en amoureux ou faire une sieste... l’heure accordée aidera les parents à recharger leur batterie et à soulager leur charge mentale. “Le bien-être est aussi important que la santé, car tout est lié”, conclut Juliette.