« Aucun enfant ne doit mourir plus du diabète ». Au vu des dernières données épidémiologiques publiées cette semaine sur le sujet, le slogan de la journée mondiale du diabète 2007, célébrée ce 14 novembre, sonne un peu comme un voeu pieux. Un numéro spécial du Bulletin Epidémiologique Hebdomadaire et un rapport Inserm/InVS (1), consacrés aux diabètes infantiles, dressent en effet un constat inquiétant, tant pour le diabète de type I (DT1) que pour celui de type 2 (DT2). Parallèlement à l'épidémie observée chez l'adulte (250 millions de cas dans le monde aujourd'hui, 380 millions prévus en 2025), l' évolution en pédiatrie bouleverse complètement les repères concernant cette maladie.
Forme principale du diabète de l'enfant, le DT1 a vu son incidence doubler ces vingt dernières années en pédiatrie dans presque tous les pays d'Europe, souligne le rapport. En France, la fréquence croit d'environ 3,7% par an chez les moins de vingt ans, selon les données d'un registre qui a fonctionné entre 1988 et 1997 dans quatre régions. Actuellement, 15 nouveaux cas sont enregistrés chaque année pour 100 000 enfants de moins de quinze ans. « L'augmentation de l'incidence du DT1 n'est pas tant une augmentation de l'incidence globale qu'un déplacement vers les tranches d'âges les plus jeunes », souligne le Dr Claire Levy-Marchal, pédiatre, directrice de recherche à l'Inserm, et l'une des trois signataires du rapport Inserm/InVS. Des cas de diabète insulino-dépendant se développent ainsi chez des enfants de moins de quatre ans.
Un repérage plus précoce de la maladie
Cette nouvelle donne pose de nombreux problèmes, à commencer par celui du diagnostic, insiste le Pr Michel Polak, pédiatre endocrinologue à l'hôpital Necker (écouter ci –contre). Evocateurs de diabète chez des adolescents ou de jeunes adultes, des symptômes comme la polyurie (présente dans 71% des cas), l'amaigrissement (9%) ou encore la fatigue (7%) ne sont pas toujours décryptés chez les tout-petits. Une complication aïgue comme l'acido-cétose est donc souvent la manifestation inaugurale du DT1 dans les tranches d'âge les plus jeunes. Au total, une dizaine de décès sont ainsi enregistrés chaque année en France, dont la très grande majorité pourrait être évités par un repérage plus précoce de la maladie, notent les auteurs du rapport.
Autres difficultés, le suivi médical et l'insertion sociale. « La prise en charge des tout-petits est très spécifique, relève de la sur-spécialité et est fortement consommatrice de temps du personnel médical », poursuit Claire Levy-Marchal. Parallèlement, ces petits malades peinent à se faire admettre en crèche ou à l'école.
Quant aux causes du rajeunissement du diabète insulino-dépendant, elles ne sont pas complètement élucidées. Des changements de susceptibilité génétique apparaissent peu probables, du fait de la rapidité de l'évolution de l'incidence. Les experts s'orientent plutôt vers des modifications de l'environnement. Le rôle de facteurs alimentaires, tels l'introduction précoce du lait de vache (avant 3-4 mois) ou de céréales (avant 4 mois) est notamment suspecté, mais reste à prouver par des études scientifiques, dont plusieurs sont en cours. La responsabilité d'infections virales périnatales, en particulier à des entérovirus tel le Coxsackie B, n'est pas claire, mais les vaccins semblent désormais innocentés. De nombreux autres facteurs de risque sont incriminés: poids et taille à la naissance, âge des parents à la conception, pré-éclampsie maternelle, et détresse respiratoire néonatale.
« Toutes ces études soulignent l'importance des expositions précoces in utero ou périnatales, mais ces travaux sont encore contradictoires et les mécanismes d'action sous-jacents ne sont pas précisément connus », concluent les auteurs du rapport. En attendant, aucune prévention n'est donc possible.
Alerter les pédiatres
Dans un contexte différent, les nouvelles ne sont guère meilleures concernant le diabète de type 2, associé au surpoids. Apparue chez des enfants américains il y a deux décennies, cette forme de diabète (anciennement appelée « de la maturité ») est désormais présente chez les jeunes Européens. « Le problème a dépassé chez nous le stade de l'anecdotique », estiment dans leur éditorial du BEH le Pr Jean-Jacques Robert (hôpital Necker, Paris) et le Dr Annick Fontbonne (Institut de recherche pour le développement, Montpellier).
Si les données épidémiologiques manquent encore en France, une large cohorte pédiatrique suivie pendant dix ans à l'hôpital Robert Debré donne une première estimation alarmante de la situation. Entre 1993 et 2003, le nombre de nouveaux cas de DT2 infantile a été multiplié par 2,4 dans ce centre. Les cas concernent principalement des adolescents (âge moyen au diagnostic 13,4 ans), en surcharge pondérale (indice de masse corporelle moyen de 32,4, soit un degré deux d'obésité dans 57% des cas). L'obésité a commencé tôt, avant l'âge de 5 ans, dans deux cas sur trois. Des antécédents familiaux de diabète sont relevés chez la majorité de ces jeunes patients.
« Les taux actuels observés en France sont identiques à ceux observés au Royaume-Uni dans la même période, et se situent au niveau observé aux USA, il y a dix ans », précise Nadia Tubiana-Rufi (hôpital Robert Debré), premier auteur de l'article du BEH.
Si les experts français ne craignent pas une épidémie de l'ampleur de celle observée Outre-Atlantique , ils soulignent que « l'apparition et l'augmentation de cette pathologie doivent alerter les pédiatres français qui devront évoquer cette forme de diabète, la différencier du type 1 et des MODY et mettre en place une prise en charge médicale adaptée ».
Le rapport Inserm/InVS enfonce le clou. « Cette pathologie est inquiétante, car sa prise en charge n'est pas codifiée et que les complications, y compris cardio-vasculaires, apparaissent vite », insistent les auteurs. Le comité de pilotage recommande vivement la mise en place d'initiatives pour la surveillance épidémiologique nationale des deux types de diabète. Une cohorte est ainsi en cours de constitution dans le Grand-Ouest, qui pourra notamment suivre l'incidence des deux pathologies, et la fréquence de l'acido-cétose inaugurale. Deux autres études, prénommées Entred (enfant et ado), sont en phase de démarrage, en collaboration avec l'InVS, l'Assurance maladie et l'Inserm. A terme, ces études transversales amèneront des renseignements précieux sur les modalités de recours aux soins, l'état de santé des enfants, leur qualité de vie, leur insertion sociale et scolaire…
(1) Co-signé par les Drs Claire Levy-Marchal, Anne Fagot-Campagna et Madeleine Daniel