Selon les derniers chiffres, la France compte 3,29 millions de chômeurs, soit plus de 10% de la population active. Les jeunes sont particulièrement touchés puisque 26% des actifs de moins de 25 ans sont actuellement sans emploi. Cette situation affecte leur budget, leur vie sociale, leur moral mais aussi leur ADN.
Une étude publiée aujourd’hui dans la revue PLoS ONE, menée sur plus de 5000 Finlandais, hommes et femmes, nés en 1966, affirme que ceux qui ont dû traverser plus de 500 jours de chômage avant l'âge de 31 ans ont deux fois plus de risque de montrer des signes de vieillissement accéléré de leur ADN. Leurs télomères, de petites séquences d’ADN situées aux extrémités de chaque chromosome pour protéger le matériel génétique qu’ils contiennent, sont plus courts qu’ils ne devraient. Or le raccourcissement des télomères est un processus naturel qui témoigne du vieillissement des cellules.
Des traces du chômage dans les télomères
« Des télomères raccourcis sont associés à un risque accru de maladies liées à l’âge comme le diabète de type 2 ou les maladies cardiaques et à des décès prématurés, souligne le Dr Jessica Buxton, chercheuse à l’Imperial College à Londres et co-auteur de cet article. Des événements stressants dans l’enfance et à l’âge adulte avaient déjà été reliés à un raccourcissement accéléré des télomères. Nous montrons désormais que le chômage longue durée peut aussi causer un vieillissement prématuré ».
La démonstration, si scientifique soit elle, ne fait pourtant pas l'unanimité. Bruno Falissard, psychiatre, professeur de santé publique à la faculté de Médecine de Paris Sud et responsable d'une unité de recherche INSERM spécialisée dans les questions de santé mentale et de santé publique est un peu plus sceptique que les auteurs de l’article sur la pertinence du raccourcissement des télomères comme indicateur de vieillissement.
Ecoutez le Pr Bruno Falissard, psychiatre et professeur de santé publique à la faculté de Médecine de Paris Sud : « La longueur des télomères (LTL) est un indicateur biologique, d’accord. Mais une des meilleures façons d’estimer le vieillissement pathologique d’une personne reste de demander à son médecin généraliste l’âge qu’elle lui donne »
La précarité professionnelle associée au déclin cognitif
Une autre étude publiée dans une revue britannique spécialisée en épidémiologie et menée sur 12 000 personnes de 50 ans et plus dans 11 pays européens constate un lien entre expérience de la précarité professionnelle et déclin cognitif. Les personnes qui traversent des périodes de récession professionnelle (chômage, temps partiel subi, emplois sous-qualifié ou baisse de salaire), à la quarantaine pour les hommes et à la trentaine pour les femmes, entament leur réserve cognitive.
Autrement dit, les difficultés professionnelles traversées pendant une période de récession économique se répercutent sur leurs capacités de mémorisation, de vitesse d’élocution, d’orientation spatiale ou encore de numération et les exposent davantage au risque de déclin cognitif. « Il est très difficile d'établir une relation de cause à effet entre des évenèments parfois distants de 50 ans, nuance Bruno Falissard, mais il faut reconnaître que les auteurs de cette étude ont essayé de limiter au maximum les facteurs possible de confusion ».
Ecoutez le Pr Bruno Falissard : « La sortie de la guerre, un état dépressif collectif, toutes sortes de phénomènes peuvent être corrélés à la récession économique. Considérer qu'elle est à elle seule responsable du déclin cognitif, là c'est gonflé ! »
Ces deux études cherchent donc finalement à étayer par des arguments de sciences dures des réalités sur le chômage et les conditions de travail précaires que les premiers concernés, mais aussi leurs médecins et bon nombre de sociologues ne cessent de décrire : être au chômage pèse sur la santé psychique et physique des individus. « Le cerveau est évidemment le premier touché par cette situation de stress chronique, tout le monde s'en doutait mais il manquait l'indispensable preuve biologique, si imparfaite soit-elle », souligne le psychiatre, regrettant cette prédominance systématiquement accordée aux sciences dures sur les sciences sociales.
Ecoutez le Pr Bruno Falissard : « Comme si ce qui n'était qu'un fantasme de sociologues prenait une autre réalité parce qu'il se voit au microscope et est prouvé par la Science »
Et après ? Une fois que les méfaits du chômage sur la santé sont démontrés, que faire ? Limiter les dégâts en apprenant à gérer le stress chronique par différents types de thérapies : de pleine conscience ou cognitivo-comportementale par exemple. « Et puis, il ne faut pas tout noircir non plus, insiste le psychiatre. Il y a aussi des gens qui vont se construire en réaction à ce stress et qui pourront s'épanouir dans leur vie après avoir affronté cette situation difficile. La résilience peut aussi être professionnelle ».