Isabelle Lévy avait des règles très abondantes et particulièrement longues (bien plus que les quatre à cinq jours moyens). La réponse de sa gynécologue lorsque la conférencière évoque ce problème pendant une consultation ? “Il faut faire avec”. Mais, comment “faire avec” quand vous devez changer de protection quatre fois dans la nuit, car elles sont trempées de sang ou n’osez plus vous lever de votre chaise devant d’autres personnes par crainte d’avoir des vêtements tachés ? Après plus de trois ans de pertes sanguines importantes, la quadragénaire insiste pour passer des examens. Ils révèlent la présence de fibromes utérins… mais aucun traitement n’est proposé par sa praticienne.
Les mois passent, la situation ne s’arrange guère… Au contraire. De nouveaux examens dévoilent des tumeurs bénignes en plus grand nombre. “Je lui demande ce qu’elle me propose comme traitement. De nouveau, elle me répond : rien”, se souvient l’auteure de Sang & Encre (Fauves Éditions). “Je suis alors partie en claquant la porte. J’ai pensé que les médecins étaient incapables de gérer ma pathologie”.
Fibromes utérins : “j’étais épuisée par les pertes de sang”
Progressivement, la vie d’Isabelle s’organise en fonction de ses passages aux toilettes pour changer ses serviettes ou ses tampons. “Dans les chambres d'hôtel, je mettais tout ce dont je pouvais avoir besoin sur la table de nuit : eau, chargeur, téléphone… pour pouvoir rester couchée. Je ne me levais que pour me changer. Je ne mangeais pas non plus au restaurant. Chacun de mes pas était compté tant j’étais épuisée par les pertes de sang”, se souvient la conférencière, souvent en déplacements professionnels.
Une amie la convainc d’aller voir un nouveau gynécologue. Il confirme la présence des fibromes et la dirige vers un chirurgien de sa clinique. “Celui-ci m'a assuré qu’il pouvait me les retirer. Après l’opération, les saignements se sont effectivement stoppés… avant de reprendre 15 jours après. Lorsque j’ai évoqué le problème lors de la visite de contrôle au chirurgien, il m’a révélé qu’il avait enlevé un polype, mais pas les fibromes. Quand j’ai demandé pourquoi, il m’a dit de consulter mon gynécologue pour en avoir l’explication. Ce dernier, après lecture du compte-rendu, m’a avoué : je ne comprends pas, ce n’est pas ce qui était prévu”. Sa solution face à cette intervention “loupée” : prescrire de l'Exacyl pour limiter les saignements. Malheureusement, si dans les premières semaines de prises, ils se sont amenuisés, ils ont repris par la suite plus importants encore malgré le suivi du traitement. La confiance d’Isabelle dans le corps médical s’est encore un peu plus amoindrie. Elle ne savait plus que faire pour recouvrer la santé et la forme physique.
Plusieurs mois plus tard, elle se confie enfin à sa mère et son frère médecin. Ils l’encouragent à franchir à nouveau la porte d’un service hospitalier de gynécologie. Le médecin consulté lui propose plusieurs possibilités : “l’embolisation (mais il doutait que cela tienne au vu de ma situation), retirer les fibromes (mais il y avait un risque important de devoir revenir dans six mois) ou faire une hystérectomie”, explique Isabelle.
“Pour moi, cette hystérectomie a été une renaissance”
L’hystérectomie, l'ablation chirurgicale de l'utérus, effraye plus d’une femme, il faut le reconnaître. Cependant, pour Isabelle Lévy, éreintée par des années de pertes sanguines importantes et de souffrances non-entendues par les professionnels de santé, c’était la seule option envisageable. “J’étais tellement épuisée par les saignements que j’ai opté pour l'hystérectomie. En fait, c’était la meilleure des solutions préconisées selon le chirurgien au vu des examens et après mon examen clinique”, se souvient-elle. Elle se fait alors opérer en décembre 2009.
“Deux jours après l'hystérectomie, j’étais déjà en meilleure santé qu’auparavant. Je me suis sentie libérée. J’avais le sentiment que je ne pouvais qu’aller mieux de jour en jour. En revanche, il m’a fallu du temps pour me remettre de l’opération : plus de trois mois”. Comme un pied de nez à la société, alors même qu’on venait de lui retirer l’utérus (symbole pour beaucoup du genre féminin), l’écrivaine se donne un objectif : reprendre le contrôle de sa féminité.
“J’ai retrouvé les habitudes que j’avais avant ces pertes de sang ingérables : je suis allée au théâtre, au restaurant. Je me suis mise à prendre soin de moi. J’ai fait attention à mon alimentation, je me suis reposée, j’ai acheté des vêtements clairs, j’ai pris des rendez-vous chez l'esthéticienne. J’ai repris le contrôle de ma vie sociale et professionnelle. Pour moi, cette hystérectomie a été une véritable renaissance”.
Hystérectomie : “il faudrait des psychologues dans les services de gynécologie”
Si Isabelle Lévy a été fort bien prise en charge au niveau chirurgical et de la douleur physique lors de son hystérectomie, elle déplore tout de même l’absence de prise en charge psychologique. “Concernant la douleur morale que l'hystérectomie peut provoquer, il n’y a pas eu un mot, que cela soit avant, pendant ou après l’hospitalisation”, reproche aujourd’hui la sexagénaire. “Perdre son utérus, ce n’est pas comme des amygdales ou une appendicite… d’autant plus que je n’avais pas d’enfant. Certes, j’avais 48 ans au moment de l’opération, je n’aurais pas vraiment pu en avoir… mais tout de même : là, c’était définitif, la fin de la fin. Ce n’est donc pas rien. Il faut mettre des mots sur son ressenti”.
De plus, l’un des sujets de prédilection de la conférencière est les rapports entre les religions, les cultures et la médecine. Ainsi, les personnels soignants l’ont bien plus questionnée sur son expertise dans ce domaine que sur son ressenti pendant son hospitalisation. "Cela ne m’a pas gênée sur le moment. Cependant, j'aurais aimé qu’on me demande : “comment vivez-vous votre intervention ?”. On me demandait toujours si j’avais mal, mais pas comment j’allais", se souvient l’ancienne patiente de la Pitié.
Pour Isabelle, il y a un vrai manque de prise en compte des répercussions psychiques de l’hystérectomie. "J’aurais aimé qu’on me mette une carte de visite dans la main et qu’on dise : appelez ce numéro si vous avez besoin".
“Il faudrait des psychologues dans les services de gynécologie. Des professionnels formés qui savent ce qu’est une hystérectomie. Les psys des services hospitaliers ont aussi leur spécialité : une psychologue en cancérologie, ce n’est pas la même chose qu’une psy en pédiatrie. Il faudrait faire de même en gynécologie”, ajoute-t-elle.
"L'hystérectomie n’a aucune conséquence sur mon quotidien"
Après son hystérectomie, le silence n’était pas le fait uniquement des professionnels de santé, celui de ses proches était grand également. “Ils me demandaient si ça allait et comme ils voyaient que j’allais mieux physiquement, que je reprenais des forces, ils ne posaient pas davantage de questions. Personne ne me demandait ce que cela me faisait de ne plus avoir d’utérus, sûrement parce que cela touche à l’intime. J’ai fini par ressentir un poids face au silence, au point que je n’arrivais plus à écrire”.
Néanmoins, c’est bien en se forçant à retranscrire son histoire qu’Isabelle parviendra à se libérer de ce “sujet tabou” dix ans plus tard. “Quand j’ai pris le stylo, tout m’est revenu à l’esprit. J’ai écrit mon histoire en moins de 15 jours. J’avais l’impression de faire le travail que j’aurais fait avec un psy, je tirai le fil d’une pelote. Mon livre a été ma psychothérapie”.
Malgré les difficultés rencontrées, Isabelle n’a aucun regret. “J’ai sauvé ma vie. Si je n’avais pas été opérée à ce moment-là, j'aurais tenu quelques mois, mais je ne serais plus là aujourd’hui. Je serais morte d’épuisement”. “L'hystérectomie n’a aucune conséquence sur mon quotidien, je reste une femme à part entière” avec une vie professionnelle et sentimentale épanouie, assure Isabelle.
Son conseil pour les femmes connaissant une errance médicale similaire à la sienne : "Si vous souffrez de saignements que vous trouvez importants, consultez. Si vous avez l’impression de ne pas être entendues, recherchez un deuxième avis médical. Selon votre âge et votre désir d’enfant, leurs propositions peuvent être différentes. Plus tôt vous vous y prenez, moins les traitements possibles porteront atteinte à votre utérus, à votre fertilité et à votre santé générale".