Dossier réalisé en partenariat
avec Science et Santé,
le magazine de l'Inserm
A la marge du vivant, les virus n'en sont pas moins en constante évolution. De nouvelles souches apparaissent régulièrement, et même de plus en plus rapidement, dopées ces dernières années par l'évolution de nos modes de vie. Les virus émergents sont en effet le plus souvent transmis par des animaux domestiques comme le porc ou les volailles d'élevage, mais aussi par des animaux sauvages, la chauve-souris en tête.
Depuis un siècle, la multiplication par quatre de la population humaine, alliée à l’élevage intensif et à la déforestation, a provoqué une augmentation des contacts prolongés avec les animaux, et une multiplication des petites épidémies de virus zoonotiques. Ils sont certes mal adaptés à l'homme, mais ont statistiquement plus de chances de s'adapter à ce nouvel hôte pour générer une nouvelle maladie par le biais de mutations et de réarrangements génétiques aléatoires.
Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), sur les 335 nouvelles maladies infectieuses découvertes entre 1940 et 2004, parmi les 154 causées par des virus, les trois quarts sont des zoonoses provenant de la faune sauvage.
À ce titre, le virus du Syndrome atypique respiratoire sévère, SARS-CoV, et celui de la grippe aviaire H5N1, font figure de cas d'écoles. Ils proviennent tous les deux de réservoirs animaux : la civette pour le SARS-CoV et les oiseaux sauvages pour le H5N1 avec éventuellement des volailles d’élevage comme hôtes intermédiaires. Pour chacun, on assiste à des infections sporadiques d'humains, pas ou peu contagieux, mais dont les symptômes sont très sévères.
Comme tous les virus émergents, les cas sont rares, mais cette rareté n’empêche pas les chercheurs d'être inquiets. « Face à des virus à transmission respiratoire, nous sommes tous à risque et comme on voyage aujourd’hui très vite, les virus se déplacent aussi rapidement », explique Arnaud Fontanet (1), chef de l’unité Épidémiologie des maladies émergentes à l’Institut Pasteur de Paris.
La mutation génétique est la clé qui ouvrirait la porte à une épidémie humaine. Or, les virus émergents ont tous la particularité d'être des virus à ARN qui mutent donc fréquemment. Ces modifications peuvent être légères ou plus radicales. Les mutations sont aléatoires, mais plus il y a de cas humains, plus la probabilité qu'une mutation favorable au virus apparaisse est grande. Les exemples historiques ne manquent pas : on pense que c'est un virus de la peste porcine qui est à l'origine de celui de la rougeole apparu entre le XIè et le XIIè siècle. Que se passerait-il si le virus H5N1 de la grippe aviaire, dont le taux de létalité est stabilisé aux alentours de 60 %, devait se transmettre plus facilement entre homme ?
Toutefois, cette adaptation à l'homme ne va cependant pas de soit, en premier lieu, parce qu’elle est contraire à l'évolution naturelle des virus. Si l'on prend le cas certains virus qui entraînent des fièvres hémorragiques, tel celui de Crimée-Congo ou d'Ebola, les spécialistes comme Sylvain Baize (1), du Centre international de recherche en infectiologie (Ciri) à Lyon remarquent qu'il y a « une très forte nécessité d’adaptation à l’hôte qui fait que les mutants ne prennent pas facilement le dessus par rapport aux souches dominantes ».
Il arrive également qu'il faille un trop grand nombre de mutations pour que la transformation en virus humain soit statistiquement probable. C'est le cas du coronavirus du syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS-CoV), dont Anne Goffard (2) de l’Institut Pasteur de Lille est une habituée : « Ce virus a émergé il y a un peu plus d’un an et les mutations qui pourraient le rendre plus pathogène ou plus contagieux n’ont pas encore eu lieu. »
Damien Coulomb
Science et Santé, le magazine de l'Inserm
(1) Sylvain Baize : unité 1111 Inserm/ENS/CNRS – Université Claude-Bernard Lyon 1, Centre international de recherche en infectiologie, équipe Biologie des infections virales émergentes (Ciri/Institut Pasteur)
(2) Anne Goffard : CHRU de Lille, pôle de Biologie pathologie génétique, Université Lille 2, centre d’infection et d’immunité de Lille (Ciil), unité 1019 Inserm/Cnrs, équipe Virologie moléculaire et cellulaire de l’hépatite C
Virus à ARN : ces virus utilisent un ou plusieurs brins d’ARN, positifs ou négatifs, en guise de patrimoine génétique.