Pourquoi Docteur : ce 16 septembre 2023 se tient la neuvième journée du don de moelle osseuse. Pourquoi un événement dédié spécifiquement à ce type de greffe ?
Dr Catherine Faucher : tout le monde a l’habitude d’entendre parler du don d'organes. Mais, celui de la moelle osseuse reste moins connu. Pourtant, il sauve lui aussi des vies. Le don de la moelle osseuse est un don vital, exactement comme celui du rein ou du foie. Cette méconnaissance peut venir du fait que le rôle de l’organe est assez abstrait pour de nombreuses personnes.
La moelle osseuse fabrique les globules du sang qui sont indispensables à la vie : les globules rouges qui transportent l’oxygène, les globules blancs qui nous aident à lutter contre les infections ainsi que les plaquettes qui participent à la coagulation. Ils sont fabriqués à l'intérieur de la moelle par les cellules souches hématopoïétiques. Sans elles, il est impossible de vivre.
Don de moelle osseuse : “quand elle est décidée, il n’y a pas d’autres traitements pour sauver le patient”
Quels patients ont besoin de don de moelle osseuse ?
Ce sont des patients qui ont des pathologies graves du sang : des maladies malignes cancéreuses comme la leucémie aigüe, les lymphomes et la myélodysplasie ou des maladies non malignes comme l’aplasie médullaire (un arrêt de fonctionnement de la moelle osseuse) ou encore des maladies des globules rouges héréditaires comme la drépanocytose ou la thalassémie.
Il s’agit “heureusement” de maladies rares, mais quand l’indication de la greffe de moelle osseuse est posée, cela veut dire qu’il n’y a pas d’autres traitements pour sauver la vie de ces patients.
Le don de moelle osseuse est conditionné par quelque chose d’assez complexe qu’on appelle la compatibilité du système HLA (antigènes d'histocompatibilité humaine, NDLR). C’est un peu notre carte d’identité génétique dont on hérite pour moitié de chacun de nos parents. La compatibilité entre donneur et receveur conditionne la possibilité de faire une greffe ou pas. Lorsqu’une greffe de moelle osseuse est nécessaire, la première recherche est effectuée au sein de la famille, en priorité les frères et sœurs.
S’il n’y a pas de compatibilité parmi les membres de la famille, on recherche une personne compatible dans le registre national des donneurs de France. S’il n’y a pas de résultat, on élargit la recherche à l’ensemble des 73 autres registres nationaux interconnectés. On a ainsi un pool de près de 42 millions de donneurs inscrits dans le monde.
Moelle osseuse : “nous avons aussi besoin en priorité de donneurs masculins”
Pouvons-nous tous être donneurs de moelle osseuse ?
La première condition pour être donneur de moelle osseuse est la jeunesse. Plus de 18 ans bien sûr, mais moins de 36 ans. On a besoin de donneurs très jeunes.
Nous avons aussi besoin en priorité de donneurs masculins. Actuellement sur nos registres, nous avons un ratio de 65 % de femmes et 35 % d’hommes. Un chiffre largement insuffisant puisque les hommes représentent environ 70 % des donneurs prélevés chaque année. Pourquoi les greffons proviennent majoritairement d’hommes ? Lors de n’importe quelle grossesse - même une fausse couche précoce - les femmes développent des anticorps anti-HLA qui sont susceptibles de rendre les suites d’une greffe compliquée. C’est pourquoi quand nous avons plusieurs donneurs possibles, nous allons toujours choisir le donneur masculin.
Pour répondre aux besoins des malades, il faudrait ainsi inverser la tendance au niveau des sexes des donneurs. C’est pour cela que cette année nous lançons surtout un appel aux jeunes hommes. De plus, c’est bien d’avoir des origines géographiques diversifiées car la population l’est. Notre objectif est que notre registre soit aussi diversifié que la population. Outre l’âge, il y a plusieurs contre-indications comme les affections cardiaques ou respiratoires, l’hypertension artérielle, le diabète, l’insuffisance hépatique… Elles sont toutes détaillées sur notre site.
Mais si vous ne pouvez pas être donneur, vous pouvez être ambassadeur. Il ne faut pas hésiter à en parler autour de soi pour faire connaître le don de moelle osseuse. On peut être la personne qui décidera un jeune homme à se porter volontaire comme donneur et à sauver une vie.
Que faut-il faire quand on souhaite être donneur ?
Le don de moelle osseuse n’est pas une démarche à faire sur un coup de tête. Il faut prendre des informations et y réfléchir. C’est un engagement, car on peut très bien être appelé le mois prochain comme dans un an ou dans dix ans.
Les personnes bien informées et décidées s’inscrivent sur notre site. Elles reçoivent un kit salivaire chez elles. Il suffit alors de cracher dans le tube et de le renvoyer. Le prélèvement établira leur "carte d’identité biologique" et permettra, par la suite, d’identifier une possible compatibilité avec un patient.
Moelle osseuse : le donneur est relié à une machine semblable à celle du don du sang
Comment cela se passe quand une compatibilité est établie entre un donneur et un receveur, et qu’un don est possible ?
Lorsque le donneur est appelé, il a plusieurs semaines pour s’organiser. Nous n’appelons pas le jour pour le lendemain. Généralement, il y a 4 à 6 semaines, voire 8 semaines.
Concernant le don, il y a deux modalités possibles. La plus ancienne - et la moins courante désormais - est le prélèvement de moelle par ponction au niveau de l’os du bassin. Elle est réalisée au bloc sous anesthésie. Au réveil, il est possible d’avoir un peu mal, mais il suffit de prendre des antalgiques simples. On sort de l'hôpital le lendemain.
La méthode utilisée dans 80 % des cas est encore plus simple. Le donneur n’est pas endormi. Il est assis dans un relax et il est relié à une machine semblable à celle du don du sang. Quelques jours auparavant, il a reçu un médicament qui stimule la production des cellules de la moelle osseuse et les fait passer des os vers le sang. L’appareil, baptisé cytaphérèse, prend dans le sang les cellules d'intérêt et laisse celles qui ne sont pas nécessaires au don. Cela dure entre 3 et 5 heures. Les patients ne sont pas hospitalisés. Ils peuvent rentrer chez eux immédiatement après.
La technique de prélèvement est choisie par les équipes de greffe en fonction de la pathologie du patient et de la quantité de cellules nécessaires.
Au bout de 8 jours, la moelle osseuse donnée est reconstituée car les cellules-souches hématopoïétiques s’autorenouvellent. Ainsi, si les conditions et contre-indications sont bien respectées, il n’y a pas du tout de séquelles pour le donneur.
Selon l’évolution de la greffe, le donneur peut être amené à faire un deuxième prélèvement. De plus, les jeunes volontaires qui le désirent ont la possibilité de se réinscrire pour faire un second et dernier don.
Vous avez combien de temps pour acheminer le don jusqu’au malade ?
On a environ 36 heures et 48 heures pour acheminer les prélèvements jusqu’au patient. Le timing peut être assez serré, surtout si le donneur et le receveur ne sont pas dans le même pays. Chaque année en France, il y a 2.000 patients qui bénéficient d’une greffe, un peu moins de la moitié se fait à partir d’un donneur familial, et un peu plus de la moitié par un donneur non apparenté.
"La greffe de moelle osseuse est comme une deuxième naissance pour les malades"
Et pour le malade comment cela se passe ?
Pour de nombreux malades, la greffe de moelle osseuse est vue comme une deuxième naissance.
Avant la procédure, le patient atteint d’une maladie grave du sang, reçoit un traitement de conditionnement à la greffe. Le but est de rendre l’organisme incapable de rejeter la moelle du donneur. Le jour J, il reçoit la moelle osseuse via un cathéter central.
La moelle osseuse a une particularité quasiment magique : à la surface des cellules-souches hématopoïétiques, il y a comme une petite ancre leur permettant de s’accrocher aux cellules qui fabriquent la moelle osseuse. Elles recolonisent ainsi la moelle osseuse du receveur. Trois ou quatre semaines après le don, elles se mettent à fabriquer des globules rouges, blancs et des plaquettes.
Il peut y avoir une complication, appelée la maladie greffon contre hôte, qui nécessite des traitements immunosuppresseurs supplémentaires et éventuellement des hospitalisations. La première année post-greffe est souvent intense pour le malade. Mais contrairement à la greffe d’organe, si tout va bien au bout de quelques mois, un état de tolérance se crée entre les cellules du donneur et du receveur permettant l'arrêt des traitements immunosuppresseurs.