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Tatouages : les médecins dénoncent l'absence d'information sur les produits

Par la rédaction

Alors qu'ils contiennent des produits toxiques, les encres utilisées dans les tatouages ne sont soumises à aucune règlementation. Les dermatologues militent pour un contrôle strict.

REX/Paul Brown/REX/SIPA

Les tatoueurs ont perdu leurs couleurs à cette annonce : à partir du 1er janvier 2014, 9 encres de tatouages sur les 10 existantes seront interdites. C’est une décision de l’Agence de sécurité du médicament (Ansm), dans un arrêté du 6 mars dernier. Seuls le noir, le blanc, le gris, le vert et le bleu devraient passer à travers les mailles du filet, mais dans des teintes limitées.

 

Métaux toxiques et hydrocarbures

Jusqu’alors, aucune législation n’encadrait les encres de tatouages. Cette loi vient combler un vide total, comme l’explique le Dr Jean-Luc Rigon, dermatologue-allergologue à Nancy (Meurthe-et-Moselle), contacté par pourquoidocteur : « On n’a aucune information sur la composition des encres de tatouage. Les jaunes, rouges, bleus et verts contiennent des additifs qu’on ne connaît pas. S’il s’était agi de médicaments, ça n’aurait jamais été accepté. »

 

Le rouge, selon le Syndicat national des dermatologues (SNDV), est une des couleurs les plus dangereuses en tatouage. Mais l’ensemble des encres contiennent en effet des métaux toxiques (cobalt, chrome, cuivre, antimoine…) et parfois des hydrocarbures, dont certains sont directement dérivés du pétrole, soulignait le syndicat en janvier dernier. « Si votre médecin voulait vous injecter un produit que vous ne connaissez pas, vous ne l’accepteriez pas. Pour un tatouage, c’est pareil, » illustre le Dr Rigon. 

 

Un « passe-droit » injustifié

Le Syndicat national des Artistes Tatoueurs (SNAT) dénonce lui un « parapluie » que brandit l’ANSM pour se protéger. Ils se disent menacés en tant que profession par une telle décision. « On n’a rien contre les tatoueurs, ce sont des artistes. Ce qui pose problème, ce sont les produits qu’on injecte et les fabricants qui ne révèlent pas les composants qu’ils utilisent, » objecte le Dr Jean-Luc Rigon. En l’absence d’informations sur la composition des encres, elles doivent être considérées comme dangereuses. C’est la position du SNDV et de l’ANSM, selon le principe de précaution qui s’applique en médecine humaine. « Pour les médicaments, pour les colorants alimentaires, pour les produits cosmétiques, les composants doivent être détaillés. Pourquoi les encres de tatouage auraient-elle un passe-droit ? » interroge le Dr Rigon. En effet, les colorants alimentaires doivent répondre aux normes européennes et à divers critères de qualité et de pureté.

 

Les risques d’un tatouage sont réels et varient en fonction des encres utilisées. Les couleurs, par exemple, sont plus allergènes qu’un noir pur. Et une encre de mauvaise qualité peut avoir des effets bien plus graves sur la santé. « Parfois on retrouve de l’encre de tatouage dans les ganglions alors qu’elle n’a rien à y faire, » précise le Dr Rigon. On peut donc imaginer que l’encre altère l’organisme. Le Dr Jean-Luc Rigon donne l’exemple des tatouages réalisés en prison : le noir de fumée, cancérigène, est utilisé. Les mineurs français ont longtemps développé des tumeurs au niveau des testicules, causé par le noir de charbon. « Chez les fumeurs, le noir de fumée descend dans les poumons et ce n’est pas bon non plus. Imaginez si vous l’injectez sous la peau. »

 

Contrôler les fabricants

Le problème se situe bien en amont du tatouage, au moment de la composition des encres de tatouages. L’opacité est totale. Les artistes tatoueurs objectent que le tatouage a été pratiqué pendant des milliers d’années sans problèmes de santé. Mais la chimie s’est développée massivement depuis quelques décennies, y compris dans le domaine des encres. « Il ne faut pas avoir peur de la chimie lourde uniquement pour les produits du type diesel, » souligne le Dr Rigon. « Il est possible que ce soient les mêmes produits qu’on injecte sous la peau. » L’ANSM a donc tranché : dans l’ignorance, mieux vaut interdire.

 

La solution serait de traiter les encres de tatouage comme les produits de santé. La solution paraît d’autant plus appréciable que les produits du tatouage sont  également sous contrôle de l’ANSM. Imposer la transparence aux fabricants d’encres est la première étape, selon le Dr Rigon : « D’abord, il faudrait connaître les composants des encres. Ensuite, il faut vérifier que les composants sont autorisés en médecine humaine. S’ils n’ont encore jamais été utilisés, ils devraient être testés par des laboratoires indépendants, comme pour un médicament ou un cosmétique. C’est du bon sens. »

 

En reprenant la même procédure que pour un produit de santé, et en imposant les contrôles de santé, le monde du tatouage serait sécurisé. C’est le cas en Suisse, où les produits doivent être conformes à la législation fédérale (composants, règles d’emballage…). Statuer sur les couleurs est donc une bonne solution de départ… mais un travail de fond doit être effectué en amont du salon de tatouage.