- Farès est décédé à 13 ans d'un choc septique développé après une péritonite.
- Le sepsis, anciennement appelé septicémie, est une affection grave qui survient lorsque le système immunitaire de l’organisme présente une réaction extrême à une infection bactérienne, parasitaire ou fongique.
- Sa mère, Jamila, a lancé une association pour sensibiliser sur ce syndrome mal-connu qui emporte 11 millions de personne dans le monde par an.
Le sepsis est une infection prenant souvent naissance dans des troubles bien connus - et souvent vus comme banals (appendicite, bronchite, plaie, panaris…) - qui finit par provoquer un dysfonctionnement d’un ou plusieurs organes vitaux. Ce problème de santé mondial, anciennement appelé septicémie, touche 50 millions de personnes et cause 11 millions de décès dans le monde par an.
"Cela représente un décès toutes 2,8 secondes. C’est énorme. C’est la 3e cause de décès après le cancer et les maladies cardiovasculaires", déplore Jamila Hedjal, Présidente France Sepsis Association.
Il y a cinq ans, comme la plupart des gens, Jamila ne connaissait ni le nom de ce syndrome grave, ni ces chiffres alarmants. Si aujourd’hui, ils font partie de son quotidien, c’est qu’ils sont entrés dans sa vie d’une des façons les plus cruelles. Le sepsis lui a pris son fils, Farès, âgé de 13 ans.
Sepsis : "il me semblait évident que ce n’était pas qu’une simple gastro-entérite"
“Farès est décédé d’un choc septique, le 24 novembre 2018. Il s’agit d’un sepsis qui s’est aggravé. Il s’est déclaré après une appendicite qui avait elle-même évolué en péritonite”, se souvient la maman.
Comment un adolescent français peut-il mourir d’une appendicite à l’hôpital ? Jamila Hedjal - qui était au côté de son fils à chaque instant - se souvient.
Tout a commencé 6 jours plus tôt par des vomissements et une diarrhée persistants. Face à ces symptômes, la mère de famille conduit son fils aux urgences du CHU de Créteil. Le personnel de l’hôpital qui faisait face alors à une épidémie de gastro-entérite, assure que l’adolescent souffre de cette maladie.
“Comme je travaille avec des enfants, il me semblait évident que ce n’était pas qu’une simple gastro-entérite. Je n'arrêtais pas de dire que je pensais que c’était une appendicite. Ils n’ont pas voulu me croire”, explique-t-elle.
Jamila emmène son enfant consulter un médecin de ville dès le lendemain. Son diagnostic : Farès a une constipation et lui prescrit un traitement à prendre pendant trois jours. Mais malgré les médicaments, son état de santé ne s’améliore pas. Jamila obtient alors un rendez-vous en urgence chez son médecin traitant. Soupçonnant une appendicite, ce dernier les envoie à nouveau au CHU de Créteil avec une feuille de route des examens à réaliser.
Après une longue attente aux urgences et beaucoup d'instances, une hospitalisation est décidée. “Le chef de service de la chirurgie pédiatrique de l’hôpital vient dans notre box. Je lui demande ce qu’a mon fils. Il me dit “je ne sais pas”. J’en profite pour lui demander si cela ne pourrait pas être une appendicite. Il me répond : "l'abdomen est comme une boîte de conserve, il faut l’ouvrir pour savoir ce qu'il y a dedans". Je lui demande s'il va donc opérer Farès. Il me dit non, car "son abdomen n’est pas chirurgical”. Le professionnel de santé somme alors la famille de sortir du box, car "il ne s'agit pas d'une urgence médicale".
Farès et sa maman sont finalement installés dans une chambre en début d’après-midi. L’attente devient longue. Interrogées, les infirmières assurent qu’il ne faut pas s’inquiéter qu’un médecin viendra bientôt expliquer la prise en charge et dire si la réalisation d’un scanner est nécessaire. Mais aucun docteur ne se présentera ce jour-là.
"Dans la nuit, mon fils fait deux crises violentes. J’appelle les équipes et leur demande d’appeler le médecin de garde. Je n’ai jamais vu de docteur jusqu’au lendemain 7 heures du matin", se souvient Jamila. "C’était un chirurgien que je n’avais pas encore rencontré. Dès qu’il a vu le teint grisâtre de mon fils, il m’a dit : c’est bon, je vais l’opérer. Je lui ai alors dit : “mais, de quoi ?”. Car jusqu’à présent, personne ne nous avait donné de diagnostic. Il m’a alors dit : “enfin… de l’appendicite”."
Choc septique : "je savais que mon fils était mort"
Si la maman a enfin un diagnostic, elle n’est pas pour autant soulagée, car l’état de son fils lui paraît très inquiétant. Alors qu’il faut lui donner un bain avant l’opération, il fait des convulsions.
“J’ai averti l’infirmière : elle m’a répondu : non, c’est une crise d'angoisse. Compte tenu de ma profession, je connais très bien les signes des convulsions chez les enfants. Je lui ai donc redit que j’étais certaine que c’était cela, mais je n’ai pas été entendue”.
Une nouvelle auscultation est réalisée par une externe en 5e année de médecine. Elle aussi se veut rassurante : les craintes de Jamila ne sont que le fruit de son anxiété maternelle. Néanmoins, Jamila n’est pas du tout convaincue par cette explication : “seule dans la chambre, je reproduis les gestes d'auscultation de l’externe. Mon travail auprès des enfants m’a appris à repérer les signes d’une infection dangereuse. Je remarque alors une couleur bleue sur les ongles de mon fils, signe d’un manque d’oxygénation”.
Face aux remarques de la maman, l’externe prend les saturations du garçon. Après plusieurs tentatives, l’équipe découvre une saturation à 60 %. “C'est-à-dire que Farès était en état critique. Il manquait d’oxygène”. En l'absence d'un médecin senior à l'étage, l’équipe décide de le descendre en salle de réveil, mais sans le monitorer ou lui donner de l'oxygène.
“On fait quelques mètres dans le couloir. Mon fils pousse un cri violent. Ses yeux convulsent et ses membres tombent. Je m’approche de lui, je vois qu’il n’y a pas de respiration. Je leur dis de commencer le massage cardiaque, car il est en arrêt. Mais elles ne m’ont pas cru. Quand on est arrivé au service de réanimation, je savais que mon fils était mort”.
Toutefois, il faudra plusieurs heures pour que le chef de service, vu la veille, vienne lui annoncer le décès.
“J’ai demandé des explications, mais il a refusé de m’en donner. Je suis allé aux côtés de mon fils, je suis restée avec lui jusqu’à ce qu’on me demande de partir. J’ai refusé en disant que je ne partirai qu’après avoir eu des explications. J’ai alors été reçu par le chirurgien rencontré le matin qui avait prévu d’opérer Farès”.
“Mon fils est décédé à midi et je n’ai su ainsi qu'à 16 h qu’il était mort d’une péritonite qui a provoqué un choc septique”.
Sepsis : "beaucoup de gens en meurent, car cette infection est mal connue"
Ce n’est finalement qu’après avoir récupéré le dossier médical de son fils que Jamila découvre le terme sepsis. “J’ai lu le terme “sepsis” que je ne connaissais pas. J’ai commencé à faire des recherches. J’ai vu que c’était un vrai problème de santé publique. Beaucoup de gens en meurent, car cette infection est mal connue… par le grand public, mais aussi par certains professionnels de santé”.
En faisant des recherches, elle remarque que son fils - outre les biomarqueurs d’une infection bien présents dans son bilan sanguin - a eu de très nombreux symptômes du sepsis pendant son séjour à l’hôpital comme les vomissements, la fièvre, les convulsions, une mauvaise oxygénation du corps, des difficultés à parler…
"Entre l’hospitalisation et l’apparition des signes du choc septique, il s’est passé 16 h. Il y avait largement assez de temps pour le sauver, et cela, à plusieurs reprises. Il n’a pas eu les antibiotiques qui auraient pu éviter la propagation des bactéries. Il n’a pas eu d’opération. Et, même après son état de choc, il aurait pu être sauvé. Il existe, en effet, des protocoles pour cela : ils prévoient la réanimation par le biais d’un massage cardiaque puis le passage immédiat au bloc. On avait le temps de sauver cette vie, mais on ne l’a pas fait. Car j’avais en face de moi un chirurgien - chef de service qui a refusé d’intervenir, car il ne voyait rien d’urgent", déplore Jamila.
Présente pendant toute l’hospitalisation de son fils, Jamila a remarqué de nombreux dysfonctionnements dans le service. Elle décide ainsi rapidement de porter plainte pour faire la lumière sur le décès de son fils.
Sepsis : "j’ai découvert qu’il y avait eu d’autres décès"
Mais Jamila ne s’est pas arrêtée là. Ayant besoin de réponse pour faire son deuil, elle a enquêté elle-même sur le service de chirurgie pédiatrique du CHU de Créteil. “J’ai découvert qu’il y avait eu d’autres décès dans des conditions similaires : un avant mon fils (4 ans) et un autre après (18 mois). Cela a été un travail de plusieurs mois”. Face à sa pugnacité et les informations réunies, la direction accepte de la recevoir et de commander un audit.
“Il a abouti à des améliorations dans le service. Bien qu’il soit resté chirurgien, le chef de service a été démis de ses fonctions de manager. Les équipes des infirmières ont été formées pour reconnaître le sepsis et un protocole a été mis en place pour les gestes d’urgence.”
Pour la maman de Farès, il était impossible d’imaginer accepter l’indemnisation proposée aux victimes d’erreurs médicales. “J’aurai dû renoncer aux poursuites contre le médecin. Mais, je voulais que la personne soit sanctionnée. Elle a manqué à ses obligations. Elle devait l’être.”. Près de cinq ans plus tard, seule la juridiction ordinale s’est prononcée sur ce dossier. “Il a été interdit d’exercice pendant 15 jours. Il a fait appel et cela a été confirmé. Il a désormais saisi le Conseil d'état.”
L’acharnement de Jamila a permis “une prise de conscience dans cet hôpital” et une amélioration de la prise en charge du sepsis dans le service de chirurgie pédiatrique. Cela a été une satisfaction pour la maman de Farès. Mais, son combat se poursuit.
Lutte contre le sepsis : "connaître les symptômes sauve des vies"
“Après le décès de Farès et la découverte du sepsis, j’ai immédiatement cherché à savoir ce qu’il y avait sur le territoire pour sensibiliser et lutter contre ce fléau. Je voulais faire quelque chose de ce décès. Il ne fallait pas que mon fils soit mort pour rien. C’est comme ça que l’association est née en juillet 2020”, explique Jamila.
La présidente de France Sepsis Association a travaillé avec les communautés médicales ainsi que les autorités françaises et internationales pour améliorer la formation des professionnels de santé et la prise en charge du sepsis.
“Travailler avec l’association m’a beaucoup aidé dans le deuil. Je peux me dire que Farès n’est pas mort pour rien. Son décès et mon témoignage ont aidé la communauté médicale et la communauté savante de réanimation à progresser. Ils avaient besoin d’entendre la parole des victimes et leurs proches. Cela m’aide aussi, car à chaque fois que je porte ce témoignage, je sais que derrière il y a plusieurs vies sauvées aussi bien en France qu’à l’international.”
Face à l’admiration que l’on peut exprimer devant son parcours et son acharnement, Jamila répond : “Farès m’a toujours vu souriante et combattante. Dans ma tête, il ne pouvait pas en être autrement… pour lui".
Aujourd’hui, Jamila et son association ont un nouvel objectif : mettre en place une vaste campagne de sensibilisation auprès du grand public pour expliquer ce qu’est le sepsis et comment détecter les symptômes.
"Dans le sepsis, les heures sont comptées. Il est important d’alerter et d'éduquer sur ce problème de santé publique. D’autant plus qu’il risque de s'exacerber dans les années à venir en raison du vieillissement de la population et de l'antibiorésistance."
Appendicite, bronchite, angine bactérienne, plaie, panaris… le sepsis est la conséquence d’une infection qui débute souvent avec des “petites banalités”. "Certes, les patients fragiles sont plus à risque, mais personne n’est à l’abri. Les individus “en bonne santé” peuvent aussi être touchés. Il est important de connaître les symptômes du sepsis et de les partager, car cette connaissance permet de sauver des vies", conclut Jamila.