- En 2022, plus de 1.200 actes de violence contre les médecins ont été recensés.
- Le Dr Bertrand Legrand, généraliste dans un quartier sensible de Tourcoing, a été victime de plusieurs agressions.
- Au-delà de la mise en place de mesures annoncées par le gouvernement, il préconise la fermeté des médecins vis à vis des patients.
Il a été insulté, menacé, bousculé et même séquestré dans son cabinet ! Le problème de l’insécurité des médecins, c’est un peu son quotidien. Mais aujourd’hui, 15 ans après son installation dans la ZUP de la Bourgogne, un des quartiers les plus sensibles de Tourcoing, le Dr Bertrand Legrand est toujours un homme heureux. "Je suis ravi de ce que je fais !", assure ce généraliste de 45 ans. "Cette violence, oui, elle existe, mais c’est toute la société qui est devenue violente et nous sommes souvent le réceptacle de ces frustrations, il faut savoir prendre un peu de recul; ici les insultes, cela fait partie du folklore, elles ne sont souvent qu’une façon d’exprimer un désaccord… ".
Un regard de philosophe mais qui n’a rien d’une quelconque soumission à la fatalité : "J’ai choisi de pratiquer dans un secteur difficile, un seul cabinet pour 8 000 habitants, à la Bourgogne, au moindre incident, ça flambe ! Je savais qu’il y aurait un aspect ‘bras de fer’, mais j’ai éduqué ma patientèle ! Aujourd’hui, même avec des petits jeunes un peu durs, il y a une forme de respect qui s’est installé".
"Je vais savoir où tu habites, tu vas voir...!"
Toujours bravache, le Dr Legrand. Pourtant, à plusieurs reprises, les choses ont failli mal tourner. "Il y a cinq ans, un des patients de ma femme qui exerce dans le même cabinet que moi l’a agressée verbalement. Je lui ai demandé de s’excuser mais il a estimé que cette demande était une insulte, raconte le médecin. Et là cela a dégénéré: très énervé, il s’est posté devant notre porte, il nous attendait à la sortie, j’avais quand même un peu peur de me faire tabasser… ". Au bout de quelques heures de "siège" et après s’être assuré de la sécurité des autres membres du cabinet, Bertrand Legrand a fini par quitter les lieux en affrontant une "bousculade", avec son interlocuteur, essuyant au passage des menaces comme "Je vais savoir où tu habites, tu vas voir…!".
C’est une fois dans sa voiture pour rejoindre son domicile, qu’il s’est aperçu qu’il était suivi par des amis de l’agresseur. Et à peine arrivé chez lui, il a été alerté que l’homme s’était à nouveau introduit dans le cabinet en renversant des meubles et en molestant un de ses collaborateurs avant d’être jeté dehors. "Là je suis allé voir la police qui connaissait bien ce personnage mais ils m’ont déconseillé de porter plainte pour ne pas envenimer la situation. Alors j’ai contacté le grand frère qui m’a dit : ‘on n’en fera pas une affaire de famille, cela se règlera entre vous et lui !’". Ambiance.
"Il y a des moments où l'on tremble un peu"
Heureusement, après deux semaines durant lesquelles le médecin a été placé sous protection policière, l’affaire s’est réglée à la façon "quartier sensible": "J’ai expliqué à tous les habitants de la cité que tant que la police me protégeait, je ne pouvais pas faire de consultations à domicile… Des gens sont vite venus me voir pour me dire ‘vous pouvez reprendre vos visites’. Le message était assez clair !", se souvient le Dr Legrand.
Impressionné par cet épisode ? "Il y a quand même des moments où l’on tremble un peu", reconnait-il. Et aussi des situations dans lesquelles il se réjouit que la force soit revenue à la loi. "Une patiente qui s’impatientait de connaître les résultats d’un examen médical m’a un jour lancé: ‘cela me fera plaisir quand tu seras mort’, en menaçant de m’égorger. Cette fois j’ai porté plainte et lorsque j’ai su qu’elle avait été condamnée, j’étais bien content !".
"Nous représentons quelque chose, si on ne l'affirme pas, on devient des proies !"
Mais malgré cet épilogue judiciaire, le Dr Bertrand Legrand se défend de préconiser des réponses uniquement "sécuritaires" aux violences contre les médecins, même s’il approuve la volonté du gouvernement de créer un délit d’outrage envers les professionnels de santé :"Cela me parait utile, il ne faut pas que l’on puisse insulter un médecin comme cela". En revanche, il croit à la fermeté de chaque praticien vis-à-vis des patients : "Il faut savoir taper du poing sur la table, dire stop, je ne suis pas votre copain, je suis médecin et je peux aussi dire des choses désagréables, il faut se faire respecter !".
Un principe qu’il tente d’appliquer au quotidien : "Ici, j’ai imprimé mes valeurs, ma façon de faire les choses; on dit parfois qu’il faut être dans la bienveillance, mais tout de même, nous médecins, nous représentons quelque chose ! Si on ne l’affirme pas, on devient des proies !".