Dès la naissance d’Emmanuelle, les médecins ont remarqué un souci : elle avait un souffle au cœur et des signes visibles d’insuffisance respiratoire. "Mes parents ont consulté rapidement un cardiologue. Il leur a expliqué que ce n’était pas un souffle au cœur, mais une tétralogie de Fallot, une malformation cardiaque congénitale, et qu’il fallait rapidement m’opérer, car je ne pourrai pas survivre comme ça", explique la jeune femme.
La toute petite Emmanuelle présentait une forme un peu particulière de la plus fréquente des cardiopathies congénitales : elle avait une communication interventriculaire et son poumon gauche n’était pas relié au cœur, car il lui manquait une partie du tronc de l’artère pulmonaire gauche. "J’ai su beaucoup plus tard que ma pathologie était liée à une maladie génétique rare appelée le syndrome de DiGorge aussi appelé 22Q11 car il s’agit d’une délétion du chromosome 22", ajoute Emmanuelle.
Plusieurs opérations ont été réalisées pendant son enfance pour réparer son système cardiaque défaillant, jusqu’à ce que la seule option pour lui assurer la vie sauve soit une greffe.
Greffe : "la douleur, cela me marque encore aujourd’hui"
En 1992, alors qu’elle avait 9 ans, les médecins ont décidé de la mettre sur la liste d’attente de greffe, car elle a besoin d'une partie du tronc pulmonaire, d'une artère pulmonaire complète et d'une communication inter-ventriculaire pour continuer à vivre.
"La greffe humaine que j’ai reçue était la troisième opération que je subissais. Au début, ils ont rafistolé comme ils pouvaient. Ils ont “fait de la plomberie" comme disait le Professeur Francine Leca, première femme chirurgien cardiaque et pionnière de la discipline en pédiatrie, qui m’avait opérée”, se souvient Emmanuelle. "Dans les années 80, ce n'était que le début de la greffe cardiaque sur les enfants et ils n'opéraient pas encore les nouveaux nés. Le but était de nous faire tenir suffisamment longtemps pour pouvoir nous offrir cette opportunité."
Liste d’attente, greffe, greffons, opération, chirurgie à cœur ouvert… Enfant, Emmanuelle n’a pas perçu l’ensemble des risques ou des implications de sa situation. "Adulte, on réalise que notre survie implique le décès d’une personne. Enfant, pas véritablement. On est préparé par les médecins, et surtout les parents, à l’opération, à être intubé, à la douleur et on voit surtout qu’on pourra faire les choses qui nous sont impossibles comme courir dans la cour de l’école avec les copains", explique-t-elle.
C’est à ses “9 ans trois quarts” que la sonnerie tant attendue a raisonné. Et Emmanuelle avait été très bien préparée par l’équipe médicale et ses parents. Elle n’a eu aucune appréhension au moment de la greffe, ni même à son réveil ou pendant ses 3 jours en réanimation. C’est finalement pendant son hospitalisation post-chirurgie qu’elle a fait face à une difficulté de taille : la douleur.
"Cela me marque encore aujourd’hui. Dans les années 90, la gestion et la prise en charge de la douleur n’étaient pas les mêmes que maintenant, d’autant plus chez les enfants. Ce n’est plus le cas aujourd’hui heureusement. Mais à l’époque la douleur n’était pas réellement prise en compte lors des soins, et cela même, si l’équipe était bienveillante", explique la jeune femme.
Cette évocation lui fait d’ailleurs remonter un souvenir : "Mes veines étaient tellement piquées que les infirmières ne parvenaient plus à me faire de piqûres. Il a alors été décidé de la faire en artérielle. Là aussi, elles ont dû s’y reprendre plusieurs fois. L’équipe a été obligée de faire sortir ma mère, car je hurlais à la mort à cause de la douleur. C’est un point un peu traumatisant, plus même que d’autres éléments qui auraient pu être marquants comme le réveil où on est intubé."
Greffe : "j’ai une responsabilité : celle de vivre pleinement ma vie"
Heureusement, les enfants récupèrent très vite. Quinze jours après sa greffe, Emmanuelle a pu rentrer chez elle… et après un temps de convalescence à la maison bien entourée par sa famille, elle a pu vivre pleinement sa vie, sans l’entrave de la maladie, un suivi régulier pour surveiller suffisant désormais.
"Avant, je ne pouvais pas courir à la récréation, je ne pouvais pas sauter à l'élastique comme mes copines, ni aller au sport. Je ne pouvais pas rentrer chez moi à pied alors qu’à 9 ans les copains commençaient à être autorisés à le faire. Toutes ces petites choses du quotidien m'étaient inaccessibles à cause de la maladie. La greffe a révolutionné tout cela", se souvient elle.
"Tu découvres qu’on peut respirer, que tu peux traverser la cour en courant sans être essoufflée. J’ai pu voyager grâce à cette greffe. En fait, tu te mets à vivre tout simplement."
Et si la petite Emmanuelle “9 ans trois quarts” n’avait pas forcément pris pleinement conscience des implications de la greffe, son donneur et ses proches ont rapidement accompagné ses pensées en grandissant.
"Le fait de recevoir cette greffe m'a fait passer de l'insouciance de l'enfance à une prise de conscience que j’avais la responsabilité de vivre pleinement ma vie et de ne pas faire n’importe quoi. Une façon d’honorer et de dire merci aux parents de ce jeune adolescent décédé qui a permis que je vive grâce à ce don d’organe."
En 2012, les médecins ont ainsi annoncé à Emmanuelle qu’elle allait avoir besoin d’une nouvelle greffe. “J’avais trente ans et des projets de grossesse donc ce n’était pas forcément évident à entendre.” Mais finalement, ils lui proposent d’intégrer un protocole expérimental moins invasif pouvant éviter une nouvelle intervention à cœur ouvert.
"Cela reposait sur la pose d'une valve grâce à une opération par cathéter. Les médecins ont que cela durerait 5 ans. Moi, j’en suis à 11 ans aujourd’hui. Et, je compte continuer à en profiter".
Maladie chronique et emploi : "cela a été difficile de parler à mes employeurs"
Et si la greffe permet à Emmanuelle de pleinement profiter de la vie, l'arrivée sur le marché du travail n'a pas été simple.
"Le suivi cardiaque, quand on est enfant ou adolescent, n’est pas très problématique. On loupe des cours, mais il est possible de les rattraper. Dans le monde du travail, cela a été beaucoup plus difficile d'en parler à mes employeurs qui n'étaient pas sensibilisés et formés à cette problématique. Il pouvait parfois y avoir plus de rendez-vous médicaux en raison du suivi et de la fatigue. Ce n’était pas toujours bien compris par l’entreprise."
Après plusieurs expériences professionnelles en entreprise, la détentrice d’un Master 1 en ressources humaines trouve sa voie après un bilan de compétences : devenir référent handicap indépendant. "C’est la personne qui accompagne les directions d’entreprise dans la mise en place des politique handicap pour développer l’inclusion des personnes en situation de handicap au sein de la société", explique Emmanuelle.
Lors de son DU "référent handicap secteur privé, fonctions publiques, secteur associatif" de l'université Paris Est Créteil, elle rencontre Magali Barthère, maman d’un enfant polyhandicapé qui a aussi rencontré des difficultés lors de l'inclusion scolaire. “Les méandres du parcours de vie de son fils et les miens ont fait échos et nous ont unis sur l'idée de vouloir entreprendre ensemble pour faire bouger les lignes".
Référent handicap indépendant : "j’aide à faire bouger les lignes"
Ensemble, elles ont fait un constat : depuis 2020, les entreprises de plus de 250 salariés doivent avoir un référent handicap. Pourtant, l’accès au monde du travail ne s'est pas vraiment amélioré pour les malades chroniques ou travailleurs en situation de handicap. Et pour cause, le salarié nommé est souvent pas ou peu formé à ce métier et à l’ensemble de ses spécificités. "Par ailleurs, les PME qui n’ont pas cette obligation, doivent aussi avoir 6 % de travailleurs en situation de handicap, mais elles ne savent pas forcément comment s'y prendre pour répondre à leurs besoins ou les recruter."
Pour aider à faire face à ces besoins, les deux femmes ont fondé ensemble Cap & Pro France, un réseau réunissant des référents handicaps indépendants. "Cette structure chapeau permet de mutualiser des moyens techniques et de communication pour les référents handicaps indépendants. Il s’agit d’une association donc elle n’a pas de but lucratif. Il y a eu des prémices avant la covid, mais notre réseau est véritablement né en 2021."
Son objectif ? Accompagner et conseiller les entreprises sur la mise en place et le suivi de leur politique handicap dans le cadre de leur RSE. Désireuses de favoriser l’inclusion dans le monde du travail, les deux cofondatrices ont également développé un volet formation permettant de communiquer et d'échanger sur le sujet du handicap au sein de l’entreprise ou d’autres structures comme les écoles ou les institutions. "On propose également l’accompagnement des projets professionnels. Nous aidons les personnes en situation de handicap à adapter leur projet en fonction de leurs contraintes de santé, mais aussi leur capabilité : c'est-à-dire leur capacité à faire les choses, mais aussi à pouvoir agir."
Et pour Emmanuelle, c’est dans la reconnaissance de la “capabilité” des 12 millions de personnes en situation de handicap que la France deviendra réellement inclusive.
"Oui, nous avons des problématiques de santé, nous pouvons être dans des situations de handicap selon l’environnement dans lequel on évolue, mais on a des compétences et on est capable de travailler, d’apporter une expertise ou des solutions innovantes". Emmanuelle en est d’ailleurs un bel exemple.
"Je suis maintenant en pleine adéquation avec ma vie professionnelle. Mon projet fait sens : j’ai relié mon parcours professionnel à mon histoire. J’aide à faire bouger les lignes sur le sujet de l’inclusion des personnes en situation de handicap. C’est un véritable épanouissement."