- Pourquoi Docteur : Après le « boom » de la téléconsultation durant la crise sanitaire, celle-ci ne représente aujourd’hui que 2 à 3% des consultations prises en charge par l’Assurance Maladie. Qu’est-ce qui pourrait faciliter le développement de cette pratique qui a été mise en avant comme solution aux déserts médicaux ?
Dr Maud Saporta : Il faut déjà faire progresser l’image de la télémédecine à la fois chez les patients et chez les médecins. Aujourd’hui, d’un point de vue réglementaire, la téléconsultation implique juste que le médecin voit son patient par l’intermédiaire d’un dispositif vidéo mais cela ne dit rien de la mise à disposition d’autres dispositifs. Et côté médical il y a encore l’idée d’une solution d’appoint comme elle a été perçue durant la crise sanitaire, une réponse à une situation dégradée où l’on faisait ce que l’on pouvait avec les moyens du bord.
« La téléconsultation peut être de même qualité qu’une consultation en présentiel »
Mais la téléconsultation, cela peut être autre chose, cela permet d’avoir un examen clinique tout à fait pertinent et de pouvoir faire des diagnostics tout aussi pertinents dans un nombre de plus en plus importants de situations. C’est quelque chose qu’il faut véhiculer auprès des médecins et aussi des patients, montrer que la téléconsultation peut être de même qualité qu’une consultation en présentiel.
- Quelles actions pourraient améliorer l’image de la téléconsultation chez les médecins ?
Faire une consultation à distance, cela ne fait pas appel au même savoir-faire qu’une consultation en présentiel, il faut passer par le malade pour évaluer les signes cliniques et cela s’apprend. Il faut revisiter la sémiologie, savoir comment faire en interrogeant le patient en lui indiquant ce que l’on veut mettre en évidence.
- Et concernant les patients eux-mêmes, comment s’assurer de leur capacité à présenter clairement leur problème de santé lors d’une téléconsultation ?
Cela passe évidemment par une question de temps. Presque tous les patients sont capables de faire l’exercice, certains pour des raisons évidentes ne peuvent pas mais ils peuvent bénéficier d’un accompagnement par exemple par une infirmière, c’est ce que l’on appelle la téléconsultation assistée. Mais ce qui compte, c’est surtout le temps que le médecin va prendre à expliquer à son patient ce qu’il attend de lui. Il ne faut pas rentrer dans un système où le médecin serait incité à faire des consultations express ! Il faut lui donner des créneaux suffisants pour qu’un vrai examen soit possible.
- Il faudrait donc former davantage les médecins aux particularités de la téléconsultation ?
Tous les médecins qui consultent avec nous passent par une formation qui aujourd’hui est organisée sous forme de quelques modules que l’on fait en distanciel avant une formation pratique avec un médecin expérimenté au cours de laquelle ils font de la simulation, c’est-à-dire qu’ils testent leur technique sur des patients simulés ce qui leur permet de se familiariser avec ces pratiques. Il est très important que cette formation initiale soit faite avant que le médecin soit face à ses patients. Il ne s’agit pas de leur réapprendre la médecine mais de leur apprendre à se servir des outils dont ils disposent aujourd’hui pour mener une téléconsultation de qualité.
- La téléconsultation permet-elle une prise en charge de tous les patients quel que soit le problème de santé dont ils souffrent ?
Non, c’est une évidence. Grâce à tout ce que nous mettons en place, la formation et les outils qui sont aujourd’hui intégrés aux cabines et qui sont plus ou moins les mêmes que ceux dont le médecin dispose lorsqu’il est dans son cabinet -la possibilité de peser son patient, de prendre sa tension, son pouls, sa saturation en oxygène, tout ce qui est indispensable à un examen clinique-, on espère repousser le spectre de ce qui est diagnosticable et traitable en téléconsultation. Il va de soi que l’on ne peut pas tout prendre en charge.
« Notre proposition n’est pas de prendre de la clientèle aux médecins locaux »
Mais c’est la même chose en cabinet : il y a des cas où le patient doit être orienté vers les urgences. De la même façon les médecins qui pratiquent la téléconsultation savent très bien que dans certains cas ils devront expliquer à leur patient qu’un examen clinique est nécessaire et qu’il lui faudra aller voir un médecin en présentiel. De toute façon, tous les médecins ont leur éthique, leur déontologie et s’ils ne se sentent pas suffisamment certains de leur diagnostic, ils vont bien entendu réorienter leur malade.
- Les installations de dispositifs tels que les cabines de téléconsultation se font souvent à l’appel de collectivités locales pour pallier le manque de médecins. Comment des structures comme la vôtre s’intègrent dans l’offre locale de soins ?
Quand on va s’installer sur un nouveau territoire, notre démarche est d’aller vers les autorités de santé et surtout les organisations de coordination des professionnels de santé pour pouvoir s’inscrire dans un tissu d’offre de soins. Notre proposition n’est pas de venir en remplacement et de prétendre prendre de la clientèle aux médecins locaux, des patients il y en a plus que ce que l’on peut couvrir aujourd’hui ! Donc l’idée c’est vraiment de laisser les médecins du territoire faire leur travail et s’il y a un besoin supplémentaire, par exemple lorsqu’il y a beaucoup de patients qui n’ont plus de médecin traitant, ou si celui-ci est débordé, on va pouvoir pallier dans le domaine des soins non programmés.
Pour toute installation, nous passons par les organisations de coopération, les CPTS ou les services d’accès aux soins lorsqu’il y en a pour aller à la rencontre des médecins du département. On leur propose de venir travailler avec nous en fonction de leurs disponibilités et on leur fait suivre la formation. Mais les demandes de leurs patients sur le territoire restent prioritaires.
- La télémédecine est présentée comme une solution pour les régions qui connaissent ce que l’on appelle des déserts médicaux. Mais la téléconsultation restera-t-elle une simple force d’appoint ou préfigure-t-elle la médecine de demain avec, pourquoi pas, la possibilité de réaliser des examens qui relèvent aujourd’hui des laboratoires de biologie ?
On ne fait pas de biologie, donc on n’entre pas en concurrence avec les laboratoires, mais j’espère que nous pourrons le faire demain. Il existe aujourd’hui des dispositifs très fiables qui permettent de faire localement un examen de biologie et d’en obtenir rapidement les résultats, comme le contrôle de la glycémie pour les diabétiques. Ces dispositifs nécessitent toujours une validation à distance par un biologiste mais l’extension de leur usage permettrait de simplifier le parcours de soin, d’éviter les délais entre la prescription d’un examen, le rendez-vous au laboratoire, l’attente des résultats, la reprise d’un rendez-vous avec le médecin... tout cela prend beaucoup de temps ! Si les mêmes examens pouvaient être faits de façon immédiate avec une réponse en quelques minutes, cela permettrait, par exemple, d’éviter que certains patients n’aillent pas au bout de la démarche en ne faisant pas les examens prescrits ou en ne retournant pas voir leur médecin. Donc en termes d’efficacité de la prise en charge, on irait vers une amélioration certaine pour le système de santé et pour les patients.