- Isabelle souffre de mastocytose systémique indolente, une maladie chronique caractérisée par une prolifération anormale des cellules immunitaires dans différents tissus et organes de l’organisme.
- Aucun médicament ne permet d’en guérir, mais elle prend une vingtaine de cachets par jour pour réduire ses symptômes (douleurs articulaires, musculaires et osseuses, flushs, fatigue, etc).
- La sexagénaire ne travaille plus mais fait aujourd’hui partie de l’association Assomast créée en 2019 en vue de représenter et défendre les intérêts des patients atteints de mastocytoses et de syndromes d’activation mastocytaire.
“D’un jour à l’autre les choses peuvent être extrêmement différentes, et je ne sais jamais comment va se passer la journée. Mais ce qui est certain, c’est que je vais aller au moins quatre ou cinq fois à la selle et une douzaine de fois uriner… Même la nuit je suis réveillée pour aller aux toilettes”, nous révèle Isabelle qui souffre de mastocytose systémique indolente. Cette pathologie est caractérisée par une prolifération anormale des mastocytes (cellules immunitaires) dans différents tissus et organes de l’organisme, dont la moelle osseuse. Une forme rare et agressive de la maladie peut également entraîner une leucémie myéloïde chronique, avec un pronostic très sombre pour le malade.
“Parfois, je ne peux plus bouger tellement j’ai mal”
Cette Picto-Charentaise de 62 ans doit prendre chaque jour dix médicaments le matin et neuf autres le soir pour tenter d’atténuer les nombreux symptômes de sa maladie chronique. “J’ai des douleurs gastriques liées à ces traitements. Parfois, j’ai l’impression d’avoir l’estomac au bord des lèvres et je suis obligée de me coucher car je ne peux pas faire autrement.”
“En plus de ça j’ai des douleurs articulaires, musculaires et osseuses. Parfois, quand les mastocytes s’énervent dans mes os, j’ai l’impression qu’on enferme ma cuisse dans un étau et qu’on ressert tout… Je ne peux plus bouger tellement j’ai mal !” Des flushs peuvent également apparaître à tout moment dans la journée, ce sont des érythèmes transitoires qui peuvent durer 45 minutes au moins, et jusqu’à quatre ou cinq heures dans le cas d’Isabelle.
“Je me sens complètement vidée derrière, avec une tension à 7 ou 8. Le pire c’est que je ne peux pas vraiment expliquer pourquoi ils apparaissent. Parfois c’est quand quelque chose me contrarie, mais cela n’est pas systématique.”
15 ans entre l’apparition des premiers symptômes et le diagnostic
Le diagnostic de la mastocytose systémique est difficile à faire car les symptômes peuvent être très variés en fonction des organes touchés par la prolifération des mastocytes. “Cela entraîne des retards diagnostics terribles pour le patient car ces personnes souffrent dans leur quotidien sans savoir pourquoi”, explique la médecin qui a elle-même vécu avec les symptômes une quinzaine d’années sans pouvoir mettre de mots sur ses troubles.
Le diagnostic d’Isabelle s’est fait en deux temps. La première fois remonte au début des années 80, alors qu’elle était en cinquième année de médecine. “J’ai fait un malaise quand j’étais externe à l'hôpital de Poitiers. Une cheffe de clinique s’est alors occupée de moi. Elle était dermatologue de formation et a posé le diagnostic de mastocytose cutanée. On en a alors fait peu de cas car dans ces années-là, il n’y avait pas les connaissances qu’on a aujourd’hui sur cette maladie.”
Une fois diplômée, la jeune médecin s’installe en 1991 en libéral à Niort. “Au fur et à mesure des années, une incroyable fatigue s’est installée. Comme tout bon médecin je me suis dit ‘bouge toi, prend du Prozac, ça va aller mieux…’ Mais rien ne s’est amélioré ! Au contraire, plus les années passaient et plus les troubles s'aggravaient. En plus de cette très grande fatigue, j’avais des coups de chaud. Ensuite, j’ai commencé à avoir des douleurs abdominales avec des diarrhées, le besoin très fréquent d’uriner, mais aussi la peau qui gratte très fort avec le développement de tâches chamoisées au niveau des cuisses, des bras et du torse.” C’est seulement à la fin de l’année 1997 que la trentenaire décide de faire une prise de sang. “Là, on a découvert que j’avais une très grosse ostéoporose alors que j’étais très jeune, je n’avais que 36 ans. On a relié ça à la mastocytose cutanée et on s’est dit que c’était peut-être systémique.”
Une biopsie ostéomédullaire pour diagnostiquer la mastocytose systémique
Un an plus tard, Isabelle est hospitalisée à l’Hôpital de la Pitié Salpêtrière afin de faire tous les examens nécessaires au diagnostic, comprenant, entre autres, une biopsie ostéomédullaire qui a été très douloureuse. “Il semblerait que la table externe soit plus dure chez les malades donc c’est plus long et ça fait plus mal que chez un patient non mastocytaire”, explique Isabelle qui souhaiterait que des progrès soient faits de ce côté-là. Cet acte médical consiste à prélever un fragment osseux d’environ 1 cm de long sur la face postérieure de l’os iliaque (situé dans le bassin), à l’aide d’un trocart. Cela donne des renseignements sur l’état de la moelle osseuse, et dans le cas d’une mastocytose systémique, elle révèle une présence anormalement élevée de mastocytes.
Malgré le diagnostic, la jeune maman solo décide de continuer à exercer son métier. “Je suis assez volontaire et battante et je ne voulais pas m’avouer vaincue, donc je puisais dans mes réserves. Je refusais que la maladie entrave ma vie plus qu’elle ne le faisait déjà… Mais ça n’a pas été facile, notamment à cause des nombreuses hospitalisations de jour qui m’obligeaient à me mettre en arrêt, sans compter les effets secondaires des traitements qui me clouaient parfois au lit pendant un ou deux jours ensuite.”
Une maladie chronique “usante autant physiquement que psychologiquement”
Mais en février 2021, c’est le coup de massue pour Isabelle. “À cause de tous mes arrêts de travail, la Carmf [« sécu » des médecins, ndlr], m’a dit qu’elle me mettait en invalidité au 1er juillet prochain. Là j’ai vraiment eu la haine… ça a été très violent car ce n’était pas moi qui choisissais mais eux. Je me suis donc accrochée un peu plus, jusqu’au réveillon du nouvel an, où j’ai fait une crise majeure. J’ai alors été hospitalisée pendant trois jours, il a fallu me donner des corticoïdes, et là, je me suis dis qu’il fallait que j’arrête car sinon, j’allais y laisser ma peau. Finalement, je ne regrette pas d’être partie car j’étais au bout de mes réserves. Je me sens mieux aujourd’hui, j’ai moins de crises. Malgré tout, sans mes 9 heures de sommeil, je ne peux pas finir la journée !”
L’ancienne médecin a souhaité rejoindre l’association “Assomast”, qui tente de mettre un coup de projecteur sur cette maladie méconnue. “En tant que malade, je pense qu’on peut apporter des choses à travers notre vécu et notre expérience”, explique-t-elle. “Le plus dur est le côté chronique de la maladie, c’est vraiment terrible car il n’y a pas un jour où on peut se lever en se disant que tout va bien. Ça va bien dans l’instant présent, mais peut-être que dans deux heures on sera au bout de notre vie.”
Un autre pan de cette maladie est particulièrement difficile à vivre pour la sexagénaire. “On dit que les gens qui ont une mastocytose ont une tendance dépressive et surtout des troubles de la concentration et de la mémoire. Et c’est vrai qu’il y a des jours où j’ai l’impression d’avoir un égouttoir dans la tête… J’ai plein de pensées, mais je n’arrive pas à les organiser. Et je me rends compte que ça ne s’arrange pas du tout, au contraire… Cette maladie est usante autant physiquement que psychologiquement.”